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Citation de Danieljean


L'impératrice Eugénie et le parfum de violette

Nous sommes le 29 février 1879, à Southampton. Un gros bateau à roues, le Danube, s'apprête à appareiller. Sur le pont, un jeune officier de vingt-trois ans, ému mais souriant, fait des signes à une femme vêtue de noir qui, sur le quai, pleure doucement.

Un hurlement de sirène, le bruit des pales qui commencent à tourner dans un grand remous d'eau, et le bateau quitte le port. Rapidement, il gagne le large tandis que, sur le quai, la femme agite maintenant une longue écharpe blanche que le jeune homme, accoudé au bastingage, s'efforce d'apercevoir le plus longtemps possible.

Ce sera la dernière vision qu'il aura de sa mère. Ces deux êtres, en effet, ne se reverront jamais.

Qui sont-ils ?

Lui, ce jeune officier élégant aux yeux bleus et aux traits fins, dont les cheveux sont légèrement parfumés à la violette, c'est le prince impérial Louis, fils de Napoléon III. Elle, cette dame en noir qui maintenant regagne sa voiture en sanglotant, c'est l'impératrice Eugénie, exilée en Angleterre depuis la chute du Second Empire, et veuve depuis six ans.

Le prince impérial a obtenu du gouvernement britannique, alors en guerre contre les Zoulous, l'autorisation de s'engager dans la Royal Horse Artillery. C'est donc sous l'uniforme anglais que ce Bonaparte, arrière-neveu de Napoléon Ier, va se battre en Afrique du Sud.

Le 26 mars, après vingt-sept jours de traversée, il est au Cap. Le 3 avril, il débarque à Durban. Le 19, il atteint Pietermaritzburg. Le 29, il s'installe à Dundee.

Le 1er juin enfin, il part en mission dans la brousse avec une dizaine d'hommes.

Vers deux heures, le petit groupe s'arrête pour déjeuner. L'endroit est calme et l'on s'attarde. Après le café, le prince s'amuse même à dessiner quelques croquis sur son carnet de notes.

Soudain, une horde de Zoulous, grimaçants et armés de sagaies, surgit des hautes herbes en hurlant et attaque le petit campement. Pris de panique, les Anglais sautent sur leurs chevaux et se sauvent sans tirer un coup de feu. Le prince Louis reste seul contre les assaillants. Armé de son revolver, il tient tête désespérément pendant quelques minutes. Mais un javelot l'atteint au ventre ; un autre lui crève l'œil droit. Il s'effondre. Les Zoulous s'acharnent alors sur le mourant ; on retrouvera son cadavre transpercé de dix-sept coups de sagaie…

Le lendemain, une colonne anglaise va chercher le corps du prince impérial et le ramène à Durban où il est placé sur un bateau en partance pour l'Angleterre…

En apprenant la mort de son fils, l'impératrice Eugénie, nous disent les témoins, « poussa un cri horrible, puis s'effondra, comme hébétée ». Pendant des semaines, des mois, son désespoir est effrayant.

Puis, en avril 1880, elle décide de se rendre en Afrique du Sud pour passer le jour anniversaire de la mort de Louis à l'endroit même où les Zoulous l'ont tué.

Elle arrive à Pietermaritzburg au milieu du mois de mai. Aussitôt, accompagnée du marquis de Bassano, de quelques officiers anglais, de deux dames de compagnie, d'une escorte de vingt cavaliers et d'un guide zoulou, elle s'enfonce dans la brousse.

— L'endroit doit être facile à trouver, dit-elle en partant, puisqu'on y a élevé un tas de pierres en forme de pyramide.

Après des jours de marche, la petite expédition arrive dans la région où le jeune prince a été massacré.

Hélas ! depuis un an, la végétation dévorante de la forêt tropicale s'est à ce point développée qu'il faut s'ouvrir un chemin à coups de hache.

Pendant plusieurs jours, on tâtonne, on tourne en rond dans un effroyable enchevêtrement d'herbes géantes, de lianes et de plantes hostiles.

Un soir, alors que tout le monde est las et découragé, l'un des Anglais, Sir Evelyn Wood, dit à l'impératrice :

— Je suis désolé, madame, mais je crois qu'il faut renoncer à poursuivre nos recherches. Les quelques pierres qui indiquaient l'endroit où est tombé le prince ont été absorbées, englouties par la végétation. On ne les retrouvera jamais…

Eugénie baisse la tête. Elle aussi commence à penser que toutes ces recherches sont inutiles, que la forêt a effacé à jamais l'endroit où son fils a été massacré, que son entreprise est insensée et qu'elle a fait douze mille kilomètres pour rien…

Elle rentre sous sa tente et passe la nuit à pleurer.

Au petit matin, tout le groupe, la mort dans l'âme, commence à faire les préparatifs du départ. Les officiers, les dames de compagnie s'affairent. Encore quelques sacs à boucler et la petite expédition va reprendre le chemin de Dundee.

C'est alors qu'il se passe quelque chose d'extraordinaire. L'impératrice Eugénie, qui est prostrée au pied d'un arbre, se relève soudain comme si elle était touchée par une inspiration subite. Les Anglais la regardent. Elle paraît bouleversée :

— C'est par ici ! crie-t-elle.

Et, s'emparant d'une hachette, elle s'enfonce dans la forêt suivie de ses compagnons éberlués.

Marchant droit devant elle, tranchant des lianes, trébuchant sur des souches pourries et des troncs d'arbres renversés, se déchirant aux épines, écartant de ses mains ensanglantées des herbes plus hautes qu'elle, elle se dirige sans hésiter vers un point mystérieux.

Pendant des heures, ne s'arrêtant pas une seconde, comme poussée par une force surnaturelle, cette femme de cinquante-quatre ans, qui n'a aucune habitude des exercices physiques, marche ainsi sans manifester la moindre fatigue.

Tout à coup, ses compagnons l'entendent pousser un cri de triomphe :

— C'est ici !

Incrédules, ils s'approchent et voient qu'effectivement Eugénie a trouvé, à demi caché dans les broussailles, le tas de pierres amoncelées en forme de pyramide.

L'impératrice est tombée à genoux et pleure.

Quand elle se relève, Sir Evelyn Wood vient près d'elle :

— Comment avez-vous pu deviner, madame, que ces pierres se trouvaient là ?

Eugénie explique alors qu'au moment où, désespérée, elle allait suivre ses compagnons et rentrer à Dundee, elle a soudain senti un extraordinaire parfum de violette.

— Ce parfum, dit-elle, m'entourait, m'assaillait même avec une telle violence que j'ai cru défaillir. Or, vous l'ignorez sans doute, mon fils avait une véritable passion pour ce parfum. Il en usait à profusion pour ses soins de toilette. Alors, il m'a semblé que c'était un signe. Et j'ai suivi aveuglément cette senteur sans douter un instant qu'elle me mènerait à l'endroit où Louis était tombé… Et vous voyez, j'ai eu raison. C'était bien un signe…

Les Anglais la considèrent avec stupéfaction.

— Maintenant, ajoute Eugénie, soyez gentils. Laissez-moi seule…

Sir Evelyn Wood et ses compagnons se retirent à une centaine de mètres et établissent un campement, tandis que l'impératrice demeure toute la nuit seule, à genoux et en pleurs, auprès de la pyramide de pierres devant laquelle elle a allumé des bougies en guise de cierges.

Or, au petit matin, il se passe un fait étrange : bien qu'il n'y ait pas le moindre souffle de vent, l'impératrice voit tout à coup la flamme des bougies se coucher comme si quelqu'un voulait les éteindre. Très émue, elle demande :

— Est-ce toi qui es là ?… Tu veux que je me retire ?…

Alors, les flammes s'éteignent brusquement.

Et Eugénie s'en va en tremblant rejoindre ses compagnons.

RÉPONSES À L'INCRÉDULE

— Cette histoire est très émouvante. Puis-je vous demander comment on la connaît ?

— D'abord par l'impératrice Eugénie elle-même qui l'a racontée en rentrant en Angleterre. Et aussi par ses compagnons : Sir Evelyn Wood, qui était officier général, le capitaine Slade, le capitaine Bigge, le Dr Scott et Lady Wood qui ont tous relaté cette extraordinaire histoire.

— Il y a un détail que vous avez omis de préciser. Est-ce que les compagnons de l'impératrice ont senti le parfum de violette ?

— Pas du tout… Mais ils furent obligés d'admettre que l'impératrice devait être « dirigée » par quelque chose car, je l'ai dit, c'est sans aucune hésitation qu'elle est allée – et à travers quelles embûches ! – tout droit vers la pyramide de pierres…

— N'a-t-elle pas pu être tout simplement animée, poussée par une intuition ?

— C'est possible… Encore que j'aimerais bien savoir ce qu'est exactement une intuition… Surtout lorsqu'elle vous pousse brusquement à faire plusieurs kilomètres en pleine forêt tropicale pour tomber exactement sur un tas de pierres d'un mètre cinquante de haut… Prenons un exemple : que diriez-vous d'une intuition qui vous ferait trouver, parmi dix mille pots de confiture de cerises, le seul qui contiendrait un noyau ?…

— Alors, ne peut-on parler de voyance ?

— Vous constaterez que, déjà, vous vous éloignez des explications rationalistes… Peut-être que l'impératrice Eugénie a été douée de voyance pendant quelques heures… Mais avouez que cette explication ne résout pas grand-chose et que l'on reste devant un point d'interrogation.

— Existe-t-il des cas analogues ?

— Camille Flammarion, auquel il faut toujours revenir car il a répertorié et étudié un nombre considérable de phénomènes dans ce domaine, cite le cas d'une veuve qui, bien qu'elle vécût seule et ne fumât pas, était incommodée parfois dans son appartement par une forte odeur de cigare. Comme son défunt mari fumait le cigare, elle finit, bien qu'elle fût athée et matérialiste, par être troublée et penser que c'était peut-être lui qui se manifestait de cette façon. Un jour, elle dit à haute voix : « Est-ce toi ? Est-ce que tu as quelque chose à me dire ?… »

Elle entendit alors – ainsi qu'elle le raconta plus tard – et j'emploie ses propres paroles, « comme si on lui parlait à l'intérieur de la tête », les mots « médecin, médecin, médecin, urgent ».

Le lendemain, elle alla voir un médecin. Le surlendemain, elle était opérée de toute urgence d'une appendicite aiguë.

— Comme quoi, pour être heureux, si j'ose dire, il faut être au parfum !…

— Souriez, souriez, mais laissez-moi, avant de nous quitter, a
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