Albertine fait danser la camarde
Le bal débute sur une procession comme sait les orchestrer Albertine: une file de créatures plus ou moins étranges dont les atours noir ébène contrastent avec des faces de craie. Ici, des squelettes endimanchés encadrent un porteur de faux, tandis qu’un clampin ploie sous le poids d'un cercueil surmonté d’un ange en robe immaculée. Là, un démon couronné vêtu d’une de ces toilettes dont l'illustratrice de Dardagny a le secret emboîte le pas à une bestiole fourchue.
On comprend que la mort rôde au sein de cette assemble joyeusement macabre. Ce que confirme le titre de cet opus mêlant harmonieusement illustrations et texte. Au fil de ces «Derniers entrechats de la camarde», les mots de Guy Poitry viennent danser avec les images d'Albertine.
Sous la plume de l'essayiste et romancier genevois, la grande faucheuse prend la parole, facétieuse. «Quand une belle s'asseyait à sa toilette, se poudrait le nez, ombrait ses paupières (...) je la laissais se contempler un instant; puis soudain prenais sa place en son miroir. C'était alors de beaux cris, poussés bien haut, et des gestes, ridicules, inconvenants; mais les bris de verre qui gisaient à terre lui renvoyaient encore l’'image de ce qu'elle serait un jour.»
Poitry imagine aussi la mort à table, en faiseuse d'ange, en golfeuse ou en lectrice, ayant pignon sur rue mais trouvant à qui parler. Autant de variations, trente-six au total, pour accompagner les tours et détours d’une fossoyeuse qui ne manque pas de souffle. Ni d'élégance. Philippe Muri, Tribune de Genève, 9 juin 2018
«Derniers entrechats de la camarde», Guy Poitry et Albertine. Ed. d'En Bas, 104 p.
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