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Citation de Cielvariable


Par la suite, je vais comprendre qu’il y a tant que je ne
vois pas. En lui. Je crois tout voir, cette première fois là.
Mais finalement ce n’est pas ainsi, c’est différent.
Que vois- je ? Le sans-défense. Il n’a pas nettoyé ses
lunettes, elles sont poussiéreuses et tachées, son pull est
taché, il n’est pas rasé, comme s’il avait passé plusieurs
jours en montagne et était venu directement me
chercher.
Son appartement n’était pas en désordre, il semblait
plutôt indéterminé, m’étais- je dit en posant mon sac dans
l’entrée, debout à la porte du salon. Il n’avait pas fait de
choix clairs, semblait- il, en termes de couleurs, de
meubles, d’objets, avait juste pris ce qui se présentait,
pratique, un mobilier de salon des années quatre- vingt
avec des bords en pin et des coussins jaunes, un écran plat,
un fauteuil inclinable marron et un noir. En même temps :
ce qui est déterminant est choisi avec le plus grand soin.
L’appartement lui- même, au sommet de l’immeuble, avec
une vue étendue sur le fjord, les îles, toutes les douces
collines vertes. Il l’a choisi et l’a voulu. A voulu avoir cette
vue, être dans ce tableau, dans cette conversation avec le
muet ouvert changeant là, dehors.
Et du vin, il en avait acheté pour ma venue, mais pas le
reste dont j’avais dit que ça pourrait être sympa quand il
m’avait posé la question dans un message la veille, comme
du lait écrémé à mettre dans le café ou du fromage brun.
Il a une chambre d’amis avec deux lits, les lits sont faits.
Ça, le fait qu’il sache tant de choses, qu’il ait tant réfléchi,
lu. Voie des lignes à travers les œuvres d’art et la société
et l’histoire d’une façon que je n’ai jamais vue. Et en même
temps : les bras qui restent ballants. Quand nous cuisinons
ensemble, du saumon mariné surgelé que nous cuisons
sur de l’aluminium dans le four, un brocoli qu’il plonge
entier dans la casserole d’eau. Ses mains, le fait qu’il ne
semble pas les maîtriser tout à fait, quand elles coupent,
font. Comme si tout risquait constamment d’en glisser,
tomber.
JE NE SAIS PAS QUI JE SUIS. JE NE ME CONNAIS
PAS MOI- MÊME, dit- il quand nous sommes autour de
la table en teck de la salle à manger à l’autre bout du salon.
Quatre petites bougies étaient allumées sur une assiette
entre nous, c’était ce qu’il était allé chercher à la supérette
quand je l’attendais seule en pleurant.
L’impuissance comme STRATÉGIE. Personne n’at-
tend quoi que ce soit d’un démuni, personne n’exige quoi
que ce soit. C’est se mettre hors jeu. Échapper à la parti-
cipation, échapper à la responsabilité, et à la culpabilité.
Car le démuni ne savait pas, n’a pas fait, ne peut pas. Et
en même temps, savoir tant de choses, être si exception-
nellement doué, là- dehors, dans le monde, là- dehors, où
personne ne vient près. Où personne n’a droit à lui, où il
peut payer, et partir. Et puis l’impuissance est un cercle
tracé plus profondément, contre le corps, comme une
frontière ? Et que c’est le fait de passer à travers, pour
quelqu’un de l’extérieur, ou pour lui- même, de l’intérieur,
que c’est de cela qu’il s’agit, de contact. Pénétrer jusqu’à
lui, ou, si c’est lui- même qui doit franchir, arriver tout au
bord de soi et sortir ?
Le démuni est inattaquable. L’impuissance comme
carapace, une carapace inattaquable. Autour de quoi ? Il
n’y a rien d’autre que de la tendresse, tout au fond. Je ne
peux croire autre chose. Le dur n’a pas besoin d’une
carapace dure. C’est le doux qui doit être si vigoureuse-
ment protégé. Non ?
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