Hermann Broch

"Mais un œil terrestre a-t-il jamais contemplé « le » Beau ou « le » Vrai ? Certainement pas, car tous deux sont - je n’ai pas besoin de répéter ici ce qu’a dit Schiller - seulement des buts platoniciens qui nous sont assignés, des adjectifs substantivés. Pour l’homme terrestre la beauté et la vérité sont uniquement données sous forme de phénomènes particuliers de beauté et de vérité. Un savant qui n’apporterait pour ses recherches rien d’autre que sa volonté de vérité ne parviendrait pas bien loin. Ce dont il a besoin, c’est de dévouement absolu à l’objet de sa recherche, c’est de logique et d’intuition et si la chance, qui joue en cette occurrence un rôle bien plus important que l’idée de vérité, lui est favorable, la vérité se présentera entièrement d’elle-même à la fin de son travail ou de ses expériences. Et il en est tout à fait de même de l’artiste. Lui aussi a reçu pour mission de se soumettre sans condition à l’objet, d’être à l’écoute de l’objet […], de dépister les lois de l’objet […], mais il n’a pas reçu pour mission de vouloir la beauté. Celle-ci est bien plutôt le fruit mûr qui (telle la vérité pour le savant) lui tombe du ciel, après qu‘il a réussi son œuvre."