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Citation de VALENTYNE


Ils vivaient comme des naufragés. À la maison, des journées entières passaient sans que personne ne prononçât un seul mot. Les deux garçons se réfugiaient aussi souvent que possible dans les bois ou dans les fermes abandonnées, où Linus racontait à Håkan quantité d’histoires – des aventures qu’il affirmait avoir vécues, des récits d’exploits qu’il tenait prétendument de la bouche de leur héroïque protagoniste, ou encore des descriptions de contrées lointaines qu’il semblait, étrangement, connaître dans les moindres détails. Compte tenu de leur isolement - et du fait que ces garçons ne savaient pas lire–, ces contes n’avaient pu trouver leur source que dans la prodigieuse imagination de Linus. Néanmoins, aussi extravagant qu’il puisse paraître, Håkan ne mettait jamais en doute leur véracité. Il vouait à son frère une confiance aveugle. Peut-être parce que, quelque bêtise qu’ait pu faire son cadet, Linus le défendait toujours et n’hésitait jamais à essuyer les reproches et encaisser les corrections à sa place. Sans Linus pour veiller à ce qu’il mange à sa fin, pour garder la maison au chaud pendant que leurs parents glanaient dans la campagne ou le distraire avec ses histoires quand la nourriture et le bois venaient à manquer, Håkan serait très vraisemblablement mort.
Tout changea le jour où la jument fut grosse. Lors d’une de ses visites, l’intendant ordonna au père d’ Håkan, Erik, de veiller au bon déroulement de la gestation – bêtes et troupeaux ayant payé un lourd tribut à la famine, cette naissance serait du pain béni pour l’écurie de plus en plus dépeuplée de son maître. Les mois passant, la jument grossit dans des proportions anormales. Et quand elle mit bas deux poulain, Erik, nullement surpris, décida, peut-être pour la première fois de sa vie, de mentir. Avec l’aide des garçons, il débroussailla un coin dans les bois et construisit un enclos, à l’abri des regards, où il cacha un des poulains sitôt qu’il fut sevré. Quelques semaines plus tard, le régisseur vint réclamer son frère. Éric laissa son poulain dans sa cachette et veilla à ce qu’il devienne un yearling vigoureux. Le moment venu, il le vendit à un meunier, dans une bourgade suffisamment éloignée de la ferme où personne ne le connaissait. Et le soir de son retour, il annonça à ses fils qu’ils partaient le surlendemain en Amérique –seuls. La vente du poulain ne lui permettait de payer que deux traversées. Et de toute façon, ajouta-t-il, il était hors de question qu’il s’enfuie comme un criminel. Leur mère, elle, ne dit rien.
Håkan et Linus, qui n’avaient jamais vu de ville, pas même en illustration, se hâtèrent de gagner Göteborg dans l’espoir d’y passer un ou deux jours, mais ils parvinrent juste à temps pour embarquer sur leur bateau à destination de Portsmouth. Une fois à bord, ils se partagèrent l’argent, au cas où il arriverait quelque chose à l’un d’eux. Durant cette partie du voyage, Linus décrivait longuement à Håkan toutes les merveilles qui les attendaient en Amérique. Ni l’un ni l’autre ne parlant anglais, le nom de leur destination se réduisait pour eux à un talisman abstrait : « Nujårk».
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