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Critiques de Hrant Dink (2)
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Deux peuples proches, deux voisins lointain..

Génocide arménien - ou déportation, ou massacre, ou carnage - ; et après 1915 ? Ou, en d'autres termes : "Est-ce plus important que la Turquie reconnaisse le génocide ou qu'elle se démocratise ? " (p. 186).



Hrant Dink, la colombe de l'empathie turco-arménienne assassinée en 2007, avait reçu commande d'une monographie sur l'état actuel des relations entre les deux pays. Cette monographie, refusée de son vivant, a été publiée posthume par la Fondation qui porte son nom. Elle constitue donc l'un des rares (le seul ?) essai(s) d'envergure de l'auteur sur la question qui lui tenait le plus à coeur, à savoir le dépassement des verrous de l'Histoire et en particulier celui du génocide, en vue d'une nouvelle relation fondée sur la confiance et le respect mutuels en vue d'un véritable progrès des deux peuples - les Arméniens d'Arménie, de Turquie et de la diaspora en termes d'existence politique et les Turcs, en termes de démocratisation de leur pays.



L'Histoire après 1915 est celle d'un dépeuplement des Arméniens de Turquie - c'est connu -, d'un retour peut-être assez massif de rescapés du génocide (avec leur assimilation radicale à la majorité) - et c'est presque totalement inconnu voire tabou -, mais surtout, depuis l'accession à l'indépendance de la république d'Arménie en 1991, l'histoire de l'absence de relations (diplomatiques, économiques, culturelles) entre Turquie et Arménie, suite à la guerre du Haut-Karabakh et au chantage pétrolier exercé par l'Azerbaïdjan (privé d'une partie importante de son territoire, j'ajoute). Dans cette absence de relations, entrent en jeu bien sûr les subtilités du jeu géopolitique multilatéral (Arménie-Azerbaïdjan, Géorgie, Turquie, Russie, Etats-Unis, Union Européenne), notamment concernant la sécurité régionale et les pipe-lines, mais aussi un certain nombres de blocages psychologiques hérités de l'Histoire : le traumatisme du monde arménien (dans ses trois composantes bien distinctes) et la paranoïa identitaire turque, qui renvoie aussi à l'actualité de la question kurde. C'est l'objet de la première partie du livre.

Il s'agit aussi de renverser les axes des revendications et des politiques des principaux acteurs : reconnaissance préalable du génocide de la part de l'Arménie, réaffirmation du Traité de Kars garantissant ses frontières nationales de la part de la Turquie ; et comme première mesure concrète, nécessité de l'ouverture de la frontière entre les deux. La seconde partie traite de ces thèmes, sous le titre : "Que faut-il faire ? Que faut-il ne pas faire ?"



Je retiens en outre quelques idées éparses qui me semblent mériter une attention particulière :

- Au sujet du multiculturalisme en Occident et en Orient :

"[...] le grand degré de liberté ainsi que les facilités accordées aux identités minoritaires en Occident ont malheureusement joué un rôle de catalyseur qui a facilité la disparition de ces dernières. D'un autre côté, les restrictions de liberté en Orient ont vraisemblablement été les principales raisons d'une ténacité attachée à conserver les identités. Il se pourrait que les appels à la prière, entendus cinq fois par jour dans un pays musulman, aient eu un effet stimulateur à ne pas sous-estimer dans la mobilisation de l'identité arménienne ; [...]" p. 68



- Au sujet de la proximité entre les deux peuples :

"La ressemblance allant parfois jusqu'à l'union, il n'est pas étonnant que chacun des deux côtés taxe de trahison la rupture de cette union, y puise un argument d'hostilité. Face à la perspective turque qui suggère que le peuple arménien - qualifié d'antan de "peuple loyal" - aurait trahi, celle des Arméniens se situe à l'extrême opposé : de leur point de vue, 1915 n'est pas seulement la date qui a marqué dans les faits la volonté d'exterminer un peuple, c'est aussi la date qui marque la trahison d'une relation vieille de plusieurs siècles." p. 72



- Au sujet de la part de responsabilité européenne dans le génocide (récemment reconnue par l'Allemagne - 2005) :

"Que l'Europe en vienne à admettre sa part de responsabilité, qu'elle en saisisse l'importance constitue une percée majeure. Cette reconnaissance en appelle une autre : celle du prix à payer. Quel prix ? Ayant fortement contribué, dans le passé, à ruiner la relation entre ces deux peuples, il appartient maintenant aux Européens de les aider à la réinstaurer." p. 160

[Alors que l'Union européenne, surtout la France, est fortement soupçonnée de brandir l'argument de la reconnaissance du génocide pour ses propres intérêts politiques, notamment en fonction de la question de l'adhésion de la Turquie. Passim]



- Au sujet de l'enjeu du "débat arménien" du point de vue de la démocratisation de la Turquie :

"Ce qui s'est passé avant et après "la conférence arménienne", organisée par des universitaires refusant de se soumettre au discours officiel, a montré essentiellement que la Turquie s'est engagée dans un processus de non-retour. [...] Avec cette conférence, les esprits libres - universitaires et intellectuels - qui travaillaient jusque-là dans les limites de leurs cadres respectifs annonçaient ouvertement le lancement d'un processus collectif de questionnement de l'Histoire, hors du discours officiel. En somme, il ne s'agissait de rien de moins que d'une révolte collective contre les thèses imposées par l'histoire officielle." p. 140



- Au sujet de la cohabitation entre christianisme et islam :

"Ce qui distingue les Arméniens des chrétiens occidentaux, c'est qu'ils ont vécu avec les musulmans. Aujourd'hui, les chrétiens européens commencent à s'adapter, tant bien que mal, à un mode de vie multiculturel dont font partie les musulmans ; les Arméniens, eux, comme d'autres chrétiens d'Orient (Assyriens, Chaldéens, etc.), ont vécu les aspects positifs et négatifs de cette réalité. Ils sont, aujourd'hui, les dépositaires d'une expérience inestimable. L'adhésion de la Turquie à l'Union européenne pourrait permettre le transfert de cette histoire singulière vers l'Europe." p. 185
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Etre Arménien en Turquie

Hrant Dink est un célèbre journaliste arménien de Turquie, adepte de la non-violence et de la pacification entre Arméniens et Turcs (et Kurdes...) par le dialogue et le "vivre ensemble". Fondateur en 1996 de l'hebdomadaire Agos, premier organe d'information bilingue turc-arménien, il a été condamné à la peine de six mois avec sursis pour "insulte à l'identité turque" et assassiné par un jeune membre d'un groupuscule d'extrême droite le 19 janvier 2007. Cet assassinat a provoqué une vague de protestations civiles et de solidarité populaire qui a peut-être contribué à "faire bouger les choses" sur la question du génocide au niveau de l'opinion.

Ce court recueil de 13 articles tirés d'Agos recouvre la période entre janvier 2004 et l'attentat dont il fut la victime. Il met en contexte la fameuse phrase qui lui valut la condamnation aux termes du fameux article 301 du Code pénal turc à laquelle échappèrent entre autres Orhan Pamuk et Elif Shafak : "Le sang pur qui remplira la place du sang empoisonné laissé par la nationalité turque se trouve dans la noble veine que les Arméniens établiront avec l'Arménie."

[Il existe dans le texte plusieurs traductions de cette phrase, qui fait d'ailleurs l'écho à un discours célèbre d'Atatürk sur le noble sang turc. Celle-ci me semble la plus correcte.]

Il touche au génocide, évidemment (en opposition avec les projets de loi français sur la pénalisation du délit de négation du génocide arménien), mais surtout à l'actualité du "vivre ensemble", sans rancune, dépassant le sentiment réciproque de trahison, ouvert et engagé donc sur la question kurde et s'écartant aussi des positions du patriarche Arménien de Turquie, Mutafyan, censé représenter la communauté.

On ne peut qu'être touché par ce personnage dont la pensée et la prose sont si proches de celles de Gandhi, et dont voici la fin de son dernier texte paru posthume :

"... oui, je peux me voir dans l'inquiétude et l'angoisse d'une colombe, mais je sais que dans ce pays les gens ne touchent pas aux colombes. Les colombes peuvent vivre en plein cœur des villes, au plus chaud des foules humaines. Non sans crainte, évidemment, mais avec quelle liberté !"

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