AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Charybde2


De la main, Lucas Corta éparpille les documents virtuels sur la table du conseil.
« Je n’ai pas le temps. D’où ça vient ? De qui ? »
Heitor Pereira baisse la tête. Il est de vingt centimètres plus petit et de dix ans plus grisonnant que toutes les personnes présentes, excepté Adriana Corta et sa directrice financière, Helen de Braga, la volonté invisible de Corta Hélio.
« Nous n’avons pas fini d’analyser…
– On a la meilleure unité R&D de la Lune, et vous n’êtes pas en mesure de me dire qui a fait ça ?
– Ils se sont donné un mal de chien pour cacher tout ce qui pourrait permettre d’identifier le drone. Les puces sont génériques, on n’a rien pour remonter au type d’imprimante.
– Bref, vous ne savez pas.
– Pas pour le moment. » Tout le monde entend le tremblement dans la voix de Heitor Pereira.
« Vous ne savez pas qui l’a construit, vous ne savez pas qui l’a envoyé, vous ne savez pas comment il a échappé à la sécurité. Vous ne savez pas si, en ce moment même, un autre de ces machins n’est pas en train de venir s’en prendre à mon frère, à moi-même ou, Dieu nous en garde, à ma mère. Vous, le chef de la sécurité, vous ne savez pas ? »
Lucas ne le quitte pas des yeux. Le visage d’Heitor Pereira tressaille.
« On est passés en sécurité absolue. On surveille tout ce qui est plus gros qu’une squame.
– Et s’ils sont déjà là ? Ce drone a pu être introduit il y a plusieurs mois. Vous y avez pensé ? Il pourrait y en avoir une dizaine d’autres en train de se réveiller. Une centaine d’autres. Ils n’ont besoin que d’un seul coup de chance. Je sais de quoi sont capables les poisons modernes. Ils vous font attendre. Ils vous font attendre des heures pendant lesquelles vous souffrez en sachant que chaque inspiration est plus courte que la précédente, qu’il n’existe pas d’antidote, que vous allez mourir. Vous passez beaucoup de temps à voir la mort en face. C’est seulement après qu’ils vous laissent mourir. Et je sais que quelqu’un a essayé de se servir d’un de ces poisons sur mon frère. Voilà ce que moi, je sais. Et vous, qu’est-ce que vous savez ?
– Lucas, suffit. » Adriana Corta est installée en bout de table. Elle a laissé plusieurs mois son siège vide, présente uniquement par l’intermédiaire de son grand et disgracieux portrait en combiAS, Notre-Dame de l’Hélium baissant les yeux sur le conseil. Une menace immédiate de mort sur ses enfants l’a fait revenir avec toute son autorité dans la salle du conseil, Rafa à sa droite, Ariel à sa gauche. Lucas est assis à droite de son frère.
« Mamãe, si ton chef de la sécurité est incapable de nous protéger, qui en sera capable ?
– Heitor servait déjà fidèlement notre famille avant ta naissance. » Personne ne peut douter qu’elle vient de le rabrouer.
« Oui, mãe. » Lucas incline la tête en direction de sa mère.
« N’est-ce pas évident ? » Rafa comble le silence cuisant.
« C’est évident ? s’étonne Ariel.
– Qui, à part les Mackenzie, comme toujours ? » Rafa se penche sur la table. Il fulmine. « Bob Mackenzie n’a jamais pardonné à mamãe. Ce type est un poison lent. Pas aujourd’hui, ni demain, ni cette année ou même cette décennie, mais une année, un jour. Les Mackenzie rendent trois fois la pareille. Ils s’en prennent à la succession. Ils veulent que tu voies s’effondrer tout ce que tu as construit, mamãe.
– Rafa…, commence Ariel.
– Kyra Mackenzie, l’interrompt Rafa. Elle était à la fête. Quelqu’un l’a fouillée, ou on lui a fait signe de passer parce qu’elle est copine avec Lucasinho ?
– Rafa, tu crois que les Mackenzie prendraient le risque d’une guerre totale ? » demande Ariel. Elle tire longuement sur sa vapette. « Vraiment ?
– S’ils pensent arriver à briser notre monopole, pourquoi pas, indique Lucas.
– Ça recommence, tu ne t’en rends donc pas compte ? » demande Rafa.
Huit ans plus tôt, Corta Helio et Mackenzie Metals s’étaient brièvement opposés dans une guerre territoriale. Des extractrices réduites à des enchevêtrements de métal, des trains pris d’assaut et des équipements détournés, des robots et des IA mis hors service par des bombardements de code noir. Des corps à corps de lève-poussière armés de couteaux à l’intérieur dans les tunnels de Maskelyne et de Jansen, à l’extérieur sur les mers rocheuses de la Tranquillité et de la Sérénité. Cent vingt morts, des millions de bitsys de dégâts. Les Corta et les Mackenzie avaient fini par accepter un arbitrage. La cour de Clavius avait tranché en faveur de Corta Hélio. Deux mois plus tard, Adrian Mackenzie épousait Jonathon Kayode, Aigle de la Lune, PDG de la Lunar Development Corporation, propriétaire de la Lune.
« Rafa, suffit », intime Adriana Corta. La voix est grêle, l’autorité incontestable. « Nous nous opposons aux Mackenzie dans les affaires, nous les battons dans les affaires. Nous gagnons de l’argent. » Adriana se lève, visage et membres raides, usés. Ses enfants et serviteurs s’inclinent et la suivent en direction de la porte.
Carlinhos se met debout, serre en pince les doigts de sa main droite et s’incline devant sa mère. Il n’a pas prononcé un mot de toute la réunion. Comme toujours. Sa place est à l’extérieur, sur le terrain, avec les extractrices, les raffineurs et les lève-poussière. Il est le lève-poussière, le combattant. Rafa peut le surpasser en charme, Lucas l’assommer à coups d’arguments, Ariel le paralyser de son éloquence, mais aucun n’arpente la surface comme lui.
Lucas retient Heitor Pereira quelques instants.
« Vous avez fait une erreur, lui dit-il à voix basse. Vous êtres trop vieux. Vous avez fait votre temps, vous êtes fini.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}