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Citation de Charybde2


Je ne revis Zacarias Khune qu’une seule fois. De nombreuses années se sont écoulées depuis, mais je garde le souvenir d’un homme si ravagé que je ne le reconnus pas tout de suite ce jour-là. À une autre époque et en des circonstances plus souriantes, il m’aurait suffi d’un coup d’œil par-dessus le bastingage pour identifier son dos de galérien et cette chevelure rougeoyante, presque sanglante, qu’il agitait au-dessus de la foule dans le mouvement de va-et-vient nerveux de quelqu’un qui a beaucoup à faire, trop de lieux où se rendre.
Une vingtaine d’années auparavant, nous nous étions séparés froidement après la clôture d’un insupportable congrès de restaurateurs. À l’époque, aucun d’entre nous n’avait dépassé son premier quart de siècle et nous commencions tout juste à gagner du terrain dans ce cercle très fermé d’architectes de la mémoire. Mais Khune se comportait déjà avec l’assurance propre aux doyens : il riait aux éclats, prenait une voix affectée et conservait envers et contre tout un accent étranger qui l’aidait tout aussi bien à décrocher des contrats avec des musées sur le déclin qu’à séduire les très jeunes historiennes. Il se querellait à la moindre provocation et ne perdait pas une occasion de se mettre en valeur. En résumé, sa présence était excessive. Et le côtoyer équivalait à devenir son ombre, à une condamnation à lui servir de comparse dans ses multiples conquêtes, en échange d’une grande claque dans le dos. Khune avait déjà, alors, l’air d’un ange tout-puissant, qui ne connaîtrait jamais la chute, un être extérieur au monde capable de dominer les constructions, avec un regard lucide et une amplitude de mouvements alimentant une course irrépressible vers un monde bâti pour son usage exclusif.
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