Ilan Greilsammer

Parce que c'était lui. Parce que c'était elle.



Cette amitié espagnole est celle de Léon Blum et de Maria Elvira Santa Cruz de Lourdès, jeune et belle aristocrate madrilène rencontrée chez Gide en 1891.

L'osmose est immédiate, la complicité totale, dénuée d'attirance sexuelle. Venue parfaire son français, Maria est émerveillée par la vie culturelle parisienne. Jeune femme émancipée, elle étouffe dans son milieu. Sa rencontre avec l'érudit Lucien Herr (l'un des pionniers du socialisme) alors bibliothécaire de l'École normale supérieure où étudie Blum va être déterminante. Maria rentre en Espagne, milite au sein du parti communiste, mais continue d'échanger des lettres avec son ami Léon.

L'engagement politique de Maria est total, radical. Reprochant à Blum sa tiédeur (un « social-traître »), elle rompt leur relation, paye un lourd tribu personnel dans son combat. Un jour de 1936, une lettre parvient à celui qui est venu Président du Conseil. Son amie est morte sous les bombes.



« C'était avec Maria que je découvris une vérité ahurissante, incompréhensible pour la plupart des gens, une vérité qui ne s'est jamais démentie durant toute ma vie: l'amitié vraie, lorsqu'on la découvre et qu'on parvient à la garder, c'est l'amitié avec les femmes. »



A travers le parcours intellectuel et politique d'un homme qui se rêvait poète et dont la rencontre avec Herr à Ulm sera déterminante, Une amitié espagnole revisite la première moitié du siècle, l'affaire Dreyfus, l'assassinat de Jaurès, Stavisky le Congrès de Tours, l'extrême-droite, l'antisémitisme, la guerre, la Déportation… A travers la rencontre tout aussi déterminante avec Maria, sans doute fictive, Ilan Greilsammer donne à voir un autre Blum, plus intime, le plonge dans ses contradictions, la plus saisissante étant celle de « la non intervention »en Espagne, puisque c'est Maria qui ouvre et clôt le roman.

« Oui, tout cela était vrai, il pensait exactement comme elle, quoi de plus fort que l'amitié vraie, mais lui, n'avait-il pas laissé tomber tous ses camarades espagnols, justement, justement, quand ils avaient le plus besoin de lui? Ne portait-il pas sur son front, comme le signe de Caïn, la marque de leur mort atroce, l'assassinat de son ami Ramon de Saragosse, celle de l'écrivain Ruiz Sanchez de Salamanque, la mort du poète Andreas Hoyos et de sa femme, jetés nus et affreusement torturés du pont de Ronda et fracassés sur les rochers? »

C'est sans doute ce qui m'aura le plus touchée dans ce roman, le contraste entre le jeune homme insouciant féru de littérature, assez désinvolte vis à vis des évènements qui agitent la fin du siècle, et l'homme d'âge mûr qui dresse le bilan de sa vie, de ses engagements, de ses actes. Ilan Greilsammer rend surtout un bel hommage à l'amitié, qui transcende les années, enrichit une existence. La fin du roman est bouleversante et je me félicite d'avoir ouvert ce livre par le plus grand des hasards, parce que sur le bandeau de couverture figure la photographie de Marina Ginestà prise en 1936 en haut de l'hôtel Colón à Barcelone, avec son fusil à l'épaule.

L’auteur, Ilan Greilsammer appartient au courant des nouveaux historiens, c'est-à-dire, un courant très marqué à gauche, mais qui remet très vivement en cause, l'histoire officielle du pays, érigée par les Pères fondateurs de l’État d'Israël, venant également de la gauche du pays, mais aussi par ceux venant de la droite.

Pour certains, ils réécrivent honteusement l'histoire, en occultant la réalité historique et les faits, pour d'autres, sensiblement et substantiellement minoritaires, ils disent vrai...