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Citation de gombishort


Au cours du XIX° siècle, le bien-être de la population fut de plus en plus perçu comme une fin en soi, et pas seulement comme un moyen de enforcer la puissance de la nation. Une condition essentielle de cette transformation fut la conception nouvelle de la société comme objet réifié séparé de l'État et pouvant être décrit scientifiquement. Ainsi, la production de savoir statistique sur la population - profils démographiques, occupations, taux de fertilité, alphabétisation, taux de propriété foncière, propension au respect de la loi (telle qu'indiquée par les statistiques sur la criminalité) - permit aux agents de l'État de la représenter de manière nouvelle et élaborée, tout comme la foresterie scientifique permit au forestier de décrire la forêt avec un degré de précision inégalée. […] Les données statistiques se muèrent en lois sociales. Il n'y avait ensuite plus qu'un petit pas à faire pour passer d'une description simplifiée de la société à sa refonte et sa manipulation, guidées par l'idée de son amélioration. Si l'on était capable de changer les contours de la nature afin de concevoir une forêt mieux adaptée, pourquoi ne pas changer les contours de la société dans le but de créer une population mieux adaptée?
La portée de ces interventions était quasiment infinie. La société devint un objet que l'État pouvait administer et transformer dans le but de le perfectionner. Un État-nation progressiste pouvait concevoir sa société selon les standards techniques les plus avancés proposés par les nouvelles sciences morales. L'ordre social existant, que les Etats passes avaient plus ou moins tenu pour acquis et qui se reproduisait jusqu'alors sous l’œil attentif de l'État, fit pour la première fois objet d'une gestion active. Il devint possible d'imaginer une société artificielle, fabriquée, conçue non par la force des coutumes et des accidents de l'histoire, mais suivant des critères scientifiques conscients a rationnes. […] Les projets d’amélioration de la vie quotidienne furent portés par des hommes et des femmes politiques progressistes en matière d'urbanisme et de santé publique et mis en œuvre sous forme de villes-usines modèles ou de nouveau organismes d'aide sociale. Les sous-populations jugées défaillantes et de ce fait potentiellement menaçantes - les indigents, les vagabonds les malades mentaux et les criminels - furent généralement l'objet des formes les plus intenses d'ingénierie sociale.

Les fondements de cette perspective sont fortement autoritaires. Si un ordre social planifié vaut mieux que les strates contingentes et irrationnelles accumulées avec le temps et la pratique, deux conclusions s'ensuivent. Seuls ceux qui disposent du savoir scientifique nécessaire pour saisir et créer cet ordre social supérieur sont aptes à gouverner dans la nouvelle ère. De plus, ceux qui, du fait de leur ignorance rétrograde, refusent de se soumettre au plan scientifique, doivent être rééduqués afin de lui être utiles, ou bien ils seront balayes. […]
L'idéologie haut-moderniste tend ainsi à dévaluer ou à bannir la politique. Les intérêts politiques ne peuvent qu'entraver les solutions sociales imaginées par les spécialistes équipés d'outils scientifiques adap tés à leurs analyses. À titre individuel, les haut-modernistes pouvaient souscrire à des vues démocratiques sur la souveraineté populaire ou à des positions libérales classiques concernant le caractère inviolable de la sphère privée, qui réfrénaient peut-être un tant soit peu leur ardeur, mais celles-ci étaient extérieures à leurs convictions haut-modernistes et souvent en conflit avec elles.
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