Jean-Louis Parisis

Le sociologue Jean-Louis Parisis, né en 1946, a publié en 1992 un livre fort intéressant sur la concentration colossale à Marseille du grand nombre de réfugiés devant l’invasion nazie de la France et le régime de Vichy dans la période de 1940 à 1942.



Les problèmes liés à cet envahissement sont illustrés par des extraits judicieux des nombreux témoignages d’écrivains qui, en fuite de l’horreur qui les attendait en tant qu’opposant politique ou Juif, s’y sont trouvés à cette époque, parmi lesquels des grands noms comme André Breton, Blaise Cendrars, Edmonde Charles-Roux, Roland Dorgelès, Lion Feuchtwanger, Henri Frenay, André Gide, Jean Giono, Joseph Joffo, Arthur Koestler, Roger Peyrefitte etc.



Le nombre de réfugiés était tellement énorme que très vite trouver un logement devenait le prime problème dans une ville saturée en quelques jours. Ainsi, Lisa Fittko (1909-2005), auteure de "Le chemin Walter Benjamin" - voire mon billet du 3 avril 2021 - est obligée de dormir dans un hôtel "louche" et de partir peu après lorsqu’un navire entra au Vieux-Port. L’académicien Michel Mohrt (1914-2011) dans son "Mon royaume pour un cheval" est même plus explicite : "J’ai débarqué ce matin. Impossible de trouver un pucier. J’ai pourtant fait tous les bordels près de la gare. Putain de ville..."



Plus encore que le logement, la nourriture était devenue un réel problème. Dans "Un sac à billes" Joseph Joffo a noté à ce propos : "Ici, le plus dur, c’était la nourriture, il n’y avait plus rien". Anna Seghers a décrit dans son ouvrage "Transit" les longues queues d’attente même des heures avant l’ouverture des magasins par des femmes lasses qui voulaient acheter des boîtes de sardines....

C’était le temps, sur fond de rationnement et de pénurie, d’incroyables ersatz, de débrouille et du marché noir, ainsi que du pâté végétal et du faux Cinzano.



Pour les loisirs, il y avait au Pathé-Palace Raimu dans "La fille du puisatier" de Marcel Pagnol, Fernandel en chair et en os aux Variétés Casino et à l’Opéra municipal Joséphine Baker dans "La Créole, mais ce sont surtout les "boîtes de nuit" - pudiquement nommées "Cabarets-Spectacles - qui avaient poussé comme des champignons vénéneux.

Daniel Meyer raconte dans son ouvrage "Les socialistes dans la Résistance" comment des jeunes ont manifesté contre la projection du film antisémite "Le juif Süss" sur la Canebière, la fierté des Marseillais.



À Marseille, il y a eu ceux qui ont sympathisé avec les Juifs et ceux qui leur ont fait la chasse et brisé les vitrines des commerces juifs.

La cité phocéenne a connu 2 grandes rafles pendant l’été 1942 et janvier 1943, mais dans les rues, cafés, cinémas et gares la rafle est hélas vite devenue un phénomène familier.



C’est également à partir de Marseille que différentes filières de sortie d’Europe sont organisées à travers les Pyrénées et l’Espagne vers Lisbonne à destination des États-Unis et de la Palestine.

Le grand héros de l’aide aux réfugiés a été le journaliste américain Varian Fry (1907-1967) qui a par sa filière sauvé la vie à des milliers des Juifs et antinazis recherchés. Dans ma critique du 5 juin 2017 de ses mémoires "Livrer sur demande" j’ai eu l’occasion de mentionner toute une série d’écrivain-e-s, artistes et savants qui lui doivent leur survie.



Ce livre, qui s’arrête logiquement avec l’occupation de la zone sud de la France et de Marseille du 2 novembre 1942, constitue une approche fort originale et instructive d’une époque dramatique.

Le choix et la qualité des nombreuses citations et des photographies font que cet ouvrage se lit facilement et très vite. En plus, il nous invite "à une redécouverte" de cette ville fascinante, comme le formule Jean-Louis Parisis.