Nous sommes nés monstrueux et notre vie fut belle. Nous sommes nés au plein milieu d’un été admirablement chaud. Nul signe mystérieux – pluie de crapauds, migration de rats, passage de comète à la ponctualité détériorée, naissance d’agnelle à six pattes ou tournée de saltimbanques à grelots – n’annonça notre venue. Simplement le ventre anormalement rond de notre mère, son cri de douleur lorsqu’elle accoucha, son silence obstiné lorsqu’elle nous vit. La sage-femme qui avait présidé à notre enfantement, elle, parla. On raconte qu’elle ne put s’empêcher de vomir en nous voyant, non pas tant à cause de notre difformité qu’en raison de notre vitalité : alors qu’elle songeait à écourter notre existence, elle croisa notre double regard. Nous étions exceptionnellement vivants, indubitablement humains, elle vécut cela comme une extrême menace. L’impossibilité pour elle de décider quoi faire, le haut-le-cœur qui s’ensuivit, la manière dont notre mère l’observait conduisirent l’accoucheuse à sortir précipitamment de la maison, à vomir donc puis à s’enfuir en direction du village. Là étaient le monde, les hommes, la vie simple et le prêtre. Elle arriva haletante, et parla. Une horreur, un miracle, quelque chose. Nous.