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Citation de jeanlucmarieandree


L'été était passé, lancinant, ennuyeux, dans la solitude et la fureur de l'enfermement ; d'interminables journées de sept heures à vingt heures, avec de longues coupures pour les re-pas. Le lendemain, ce serait la rentrée.
Naranbaatar reçut la visite de son père, une permission ob-tenue grâce à l'opiniâtreté du nomade du désert. L'enfant déborda de joie d'effleurer le visage familier de l'homme à qui il put enfin se confier. Dans le même temps, il était meurtri de honte, accablé par ses actes. Ils marchèrent dans les jardins de l'école, verdoyants et soigneusement entretenus par les soins de Naranbaatar, embauché durant l'été par le jardinier afin de l'occuper. Trop heureux de retrouver son fils, Chuluun ne formula aucun reproche sur les conséquences de son évasion. Il ne lui dit pas non plus, de crainte de l'affecter, qu'il avait emmené son frère aîné avec lui. Il avait emporté un assortiment de plats salés et sucrés confectionnés avec amour par son épouse. Naranbaatar y fit honneur, il s'empiffra tant il avait faim, tant les souvenirs de ces mets l'avait alléché durant ces cinq mois, enfermé dans les murs de l'école, ne tenant que grâce aux souvenirs de sa vie dans le campement et de son escapade dans le désert. L'enfant se languissait de sa famille, des jeux et des chevauchées avec ses copains voisins.
Père et fils, assis sur un banc, contemplaient le travail des horticulteurs, les fleurs, les plantes, les petits arbres absents de la steppe en bordure du sable. Naranbaatar eut besoin de parler, de soulager sa conscience, tant il était troublé.
— Je vous demande pardon. Je n'étais pas d'accord de partir, j'avais peur de vous poser des problèmes, mais je ne pou-vais pas rester seul ici. Est-ce qu'ils sont venus chercher Sükh ?
L'homme hésita, néanmoins il choisit de ne pas répondre à la question.
— Tu n'as pas à t'inquiéter pour nous. Tu dois avant tout prendre soin de toi, nous voulons te récupérer en bonne santé. Un nouveau cheval t'attend. Tu manques beaucoup à ton frère, ta sœur et ta mère, à moi aussi. Tiens-toi tranquille maintenant, nous avons tous hâte de te revoir parmi nous. As-tu des cours en mongol au moins ?
— Non aucun.
— Alors mène ta résistance sur place et non en risquant ta vie dans le Gobi.
Naranbaatar baissa la tête, il n'osa parler du projet qu'il avait élaboré dans l'isolement de sa « cellule » en rédigeant son exposé sur la Mère Patrie. Puisqu'il ne pouvait directe-ment revenir à la yourte sans exposer sa famille, il partirait hors de la Chine, vers l'autre Mongolie, celle des chanteurs et des musiciens en tournée dans le sud, puis il traverserait le désert pour retourner chez lui. Il ne lui restait plus qu'à attendre le moment opportun. Chuluun se saisit du sac trimbalé depuis chez lui, l'ouvrit et en retira une belle paire de bottes en cuir, fourrées, ajustées à la taille de l'enfant. Naranbaatar les reçut, ému par l'attention de ses parents. Il dévisagea son père, était-ce là un signe d'encouragement, un soutien à ses desseins ?
Naranbaatar ne parvenait pas à se lier à d'autres élèves. Pourtant ses compagnons de chambre étaient attentionnés avec lui, ils l'auréolaient des hauts faits de sa fugue, ils adulaient leur héros, un nouveau Gengis Khan défiant par un pied de nez les autorités. Il désespérait des visites de ses parents, dont la dernière remontait à son premier été dans l'institution. Il regrettait aussi Sukbataar et Kushi. Qu’étaient-ils devenus ? Voilà un an et demi qu'il ne les avait pas revus, une année de scolarité, de début août à fin juin, deux vacances d'été. Que leur était-il arrivé, avaient-ils changé d'établissements ?
Ses camarades lui avaient appris que son frère avait passé l'année à l'école et qu'il avait renouvelé sa rentrée. Il ne les crut pas jusqu'à ce qu'il aperçût Sükh, tôt le matin, dans la cour lors de la levée du drapeau. Il avait essayé de l'approcher, tandis que les élèves chantaient l'hymne national. En vain. Un surveillant l'avait attrapé par le bras et sanctionné pour son effronterie. Quelle cruauté ! Naranbaatar n'admettait pas que la direction eût le vice de planifier leur séparation au point de rendre impossible la rencontre des frères au moins une fois, soit dans les couloirs, soit dans la cour ou dans le réfectoire. Les Chinois se trompaient s'ils pensaient avoir tué tous rêves de rébellion ; l'enfant ne s'était jamais départi de ses projets d'évasion. Justement, une occasion inattendue et inespérée se présentait à lui. Son école devait se rendre dans la province du Gansu, à l'ouest, dans la capitale provinciale, pour y visiter un musée d'histoire de la révolution populaire. Naranbaatar avait réuni en secret des vivres et tout ce qui lui semblait utile pour son voyage. Il attendait avec impatience le grand jour du départ.
Dans le bus qui le conduisait à Lanzhou, Naranbaatar découvrit l'immensité de la Mongolie du sud, des paysages luxuriants. Le fleuve Jaune s'écoulait des hautes montagnes vers la mer du même nom, il passait par Baotou puis les villes chinoises, les champs cultivés, les rizières inondées qui s'étiraient le long du Huang he. Les troupeaux de buffles broutaient l'herbe sous le soleil de septembre, les paysans portaient leurs hottes de légumes pour les revendre au marché, les ouvriers retournaient chez eux à bicyclette, de retour de l'usine. Maintenant le Gansu. Naranbaatar comptait se rendre au Xinjiang puis, au-delà, en Mongolie, cependant sa carte n'était pas suffisamment détaillée, assez cependant pour qu'il réalisât la longueur du trajet. Un projet insensé, pourtant il ne pouvait plus reculer. Il osait à peine se représenter son parcours, appréhendant que le surveillant, assis à ses côtés, ne lût dans ses pensées.
Le vigile se leva et rejoignit son collègue en avant du car. Un garçon, grand et trapu, en profita pour prendre sa place. Sukbataar ! Un autre, plus petit et maigre, s'installa entre ses deux compagnons. Kushi ! Naranbbatar jubila de revoir ses amis. Les trois camarades s'accueillirent avec des sourires discrets, inquiets d'être repérés.
— Que faites-vous là, pourquoi n'êtes-vous pas venus au départ de l'autocar ? murmura Naranbaatar.
— À cause des gardes, répliqua Sukbataar.
— Êtes-vous restés à la pension ?
— C'est la question que je voulais te poser, intervint Kushi, je ne t'y ai pas vu. Je crois que la sanction est finie, sinon pourquoi serions-nous dans le même bus
— Qu'est-ce qui te fait dire que nous ne sommes plus punis, sonda Naranbaatar, soudain mal à l'aise.
— Parce que Sukbataar et moi nous sommes maintenant ensemble en classe.
Naranbaatar garda le silence, irrité de savoir ses copains réunis sans lui, inquiet aussi d'être le seul à demeurer isolé. Est-ce que la direction avait compris ses intentions ? Pour confirmer ses craintes, une voix le fit sursauter.
— Voici donc nos inséparables, vous êtes décidément indécollables, railla le vigile. Je n'ai rien remarqué pour cette fois, toutefois à Lanzhou nous ne relâcherons plus la garde, vous êtes fichés comme des réfractaires à surveiller de près !
Les trois garçons se regardèrent consternés. Raison de plus pour que Naranbaatar leur partageât son projet. Il attendit que le surveillant s'éloignât.
— J'ai décidé de rejoindre la Mongolie par le Xinjiang, chuchota-t-il. Je profiterai de la visite de l'exposition pour m'éclipser.
— Es-tu sérieux, Naran ? Après ce qui nous est arrivé ! Et ta famille ? s'affola Kushi.
— Ils sont déjà venus chercher mon frère, je suis même resté un an sans le voir à la pension.
— En es-tu sûr ? Mais alors les nôtres aussi ! s'exclama Sukbataar.
— Vous ne les avez pas vus ?
— Non, c'est dégoûtant, s'indigna Kushi.
— Tu as entendu le surveillant, comment vas-tu passer inaperçu ? demanda l'aînée.
— Je verrai.
— S'ils te choppent, ils ne le pardonneront pas, tu ne reverras plus jamais tes parents.
— Je sais.
— Tu es fou, Naran, tu devras traverser le désert, et puis il y a la frontière, tu n'y arriveras pas !
Naranbaatar garda le silence. Les questions de ses amis l'oppressaient, il prenait conscience qu'il avait négligé beaucoup d'aspects de son voyage, en particulier la distance et le danger.
— Ils ont été trop durs avec moi, se justifia-t-il. Le surveillant nous a confirmé qu'ils ne nous lâcheront jamais, je ne resterai pas, conclut-il, plus pour se convaincre que pour se rassurer, car il tremblait d'anxiété.
— Si je le pouvais, je partirais avec toi, confia Kushi.
— Nous n'avons rien préparé, crois-tu vraiment que se soit possible ? s'informa Sukbataar.
— Oui, répondit Naranbaatar, percevant une lueur d'espoir.
— Dans ce cas je viens, si tu es d'accord.
— Moi aussi, se lança Kushi, par attachement à ses amis ou par pure folie ?
Naranbaatar ne parvint pas à sortir un mot, tant il était bouleversé de ne pas être seul dans cette aventure.
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