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Citation de jeanlucmarieandree


La steppe saline, semi-désertique, accueillait des yourtes
sur un pré éclatant bordé d'ocre doré. Un soleil de plomb les
faisait fumer en de grands halos troubles, telles deux lunes
derrière une tempête de sable. Après une longue chevauchée,
accablée par la chaleur du désert, pas moins de quarante de-
grés, Bolormaa, la mère de Kushi, accompagnée de son fils,
plaça sa monture devant une porte peinte en rouge éclatant.
Elle demanda à son benjamin de rester au-dehors avec les
chevaux, descendit puis appela l'habitant.
— Tenez votre chien !
Elle rentra sans attendre d'y être invitée, en enjambant du
pied droit le seuil de l'entrée. La yourte semblait désertée.
Tournant dans le sens des aiguilles d'une montre, la révolu-
tion de l’astre du jour, en évitant soigneusement de ne pas
passer derrière le poêle éteint, ni entre les piliers centraux,
elle inspecta la tente au cas où un des occupants serait assou-
pi. Elle resta interdite. Sa fille était allongée sur une natte,
serrée contre Sukh, l'aîné d’Oyunbiley ! Les adolescents se
redressèrent, immobiles tels des saïgas surpris par un léopard
des neiges. Remis de leur stupéfaction, les jeunes gens tinrent
tête à l'intruse, l'indiscrète qui était sur le point de leur donner
des leçons, il était désormais loin le temps du bâton ! Contre
toute attente, Bolormaa se mit à rire aux éclats.
— Oyuunchimeg tu as trouvé un beau prince mongol, le
joyau de ma sœur du désert, et toi, Sükh, tu as choisi ma prin-
cesse adorée. Cependant il est trop tôt pour vous marier. Où
est ta mère ? demanda-t-elle à l'adresse du garçon.
— Elle est avec le troupeau, répondit l'adolescent dé-
contenancé.
— Je vais la retrouver. Maintenant sortez !
Bolormaa se dirigea derrière la yourte et traversa un re-
groupement de chamelles jusqu'à son amie qui trayait l'une
d'elles, assise sur un petit tabouret. Elle prit le deuxième ba-
quet et entreprit de l'aider, accroupie en bonhomme. Oyunbi-
ley suspendit son geste.
— As-tu du nouveau ? 5 s'inquiéta-t-elle.
— Non je n'en ai pas, si ce n'est que votre fils féconde ma
fille.
— Comment le sais-tu ?
— Je les ai vus sous votre yourte.
Oyunbiley secoua d'abord la tête, puis elle sourit.
— Ils ont dû se rencontrer chez toi pendant les cours de
violon.
— C'est une bonne nouvelle.
— Oui, si seulement nous en recevions de nos petits, ré-
pliqua avec mélancolie Oyunbiley. Ils ont quatorze ans déjà.
Où sont-ils donc ?
— J'aimerais tant que Kushi se décide à écrire, n'y a-t-il
que votre fils qui pense à sa mère ! s’exclama avec amertume
Bolormaa. Je suis venue pour autre chose. Mon cadet a neuf
ans, l'âge de garder les bêtes, il restera pour vous aider. Nos
aînés risquent de planer longtemps comme l'aigle dans les
courants chauds, vous aurez besoin d’aide.
— Comment feras-tu sans lui ?
— Son grand frère, sa femme et ses petits, vivent avec
nous. Acceptez, je vous en prie, entre nomades il faut
s’entraider.
Oyunbiley fit silence, comment pourrait-elle refuser une
offre si généreuse ?
— Il peut venir quand il veut. Je suis très heureuse de ta
proposition, remercie-le ainsi que ton époux.
— Je l'ai emmené avec moi, il attend devant la yourte.
Une fois la traite finie, les femmes portèrent les seaux dans
l'habitation. Oyunbiley versa directement le lait dans une
marmite où elle le laisserait fermenter. Bolormaa poussa son
fils à gauche, côté invités, puis elle offrit une boîte de thé en
guise de respect. Après avoir pris le présent en inclinant la
tête, l'hôtesse alla mettre de l'eau à chauffer. Sitôt fait, elle
encouragea le garçon a s'asseoir avec elle à droite, la place
réservée à la famille. L'enfant s'exécuta, intimidé. Oyunviley
lui donna une tasse de lait et des biscuits sucrés.
— Je vais préparer du riz. Ma fille ne va pas tarder à ren-
trer. Depuis le début des vacances d'été, je ne la vois plus, elle
a onze ans et elle fugue déjà comme son frère.
Chuluun tondait les brebis avec Enkhjargal, son « fils »
depuis une semaine. Au nord, le sable ocre transpirait de va-
peur brûlante, au sud la steppe ondulait sous le vent humide
et tiède. Le berger appréciait la compagnie de l'enfant vail-
lant, curieux et spontané, désirant l'accompagner dans ses
tâches. Chuluun lui racontait de nombreuses anecdotes sur la
vie de Gengis Khan, avec un pincement au cœur, car cela lui
rappelait alors Naranbaatar sur le chemin de l'école. Enkhjar-
gal indiqua deux points ébène sur une langue safran, des ca-
valiers qui approchaient au galop. Son cœur battit rapidement,
tel un tambour lors des cérémonies. Il avait reconnu ses voi-
sins qui se dirigeaient droit sur eux.
Après avoir pris une gourde sur la selle de sa jument, Enk-
hjargal s'avança vers les voyageurs afin de leur offrir à boire.
Son camarade et son père sortirent une timbale de sous leur
veste et la tendirent au jeune hôte. Chuluun vint à son tour
saluer le nomade.
— Bonjour, comment allez-vous ?
— Bonjour, ça va et toi, quoi de neuf ?
— Comme vous le savez, mon fils aîné se mariera l'année
prochaine. Passez-vous bien l'été ?
— Je ne t'ai pas vu au Nadaam. Mon aîné a gagné la lutte
en cinq parties, c'est un faucon, rien à voir avec toi, le lion
des neuf rounds 6 .
— C'était il y a deux ans, l'année dernière, c'était vous
l'éléphant.
— Sept tours seulement, j’aurais espéré que tu sois cette
année le géant. Tu es occupé et ton aîné ne semble pas pré-
disposé à être berger. Je t'ai emmené mon fils, Mönkhbat,
pour t'aider, accepte-le, il a le même âge que ton nouveau
fiston, ils sont copains.
— Sükh se débrouille pour les troupeaux, c'est juste qu'il
est plus souvent chez la famille de sa future épouse que chez
nous. C'est un musicien et un bon chanteur, il est utile pour
notre peuple. Pour vous aussi la saison bat son plein, vous ne
pouvez pas vous séparer de votre fils, qui va garder le trou-
peau ?
— Mon cadet, mais je te trouve trop indulgent envers ton
aîné.
— La musique guérit mon cœur de père, blessé par l'ab-
sence d'un de ses gars. Mönkbaat est-il d'accord au moins ?
répondit Chuluun, touché par le geste de l'homme du désert.
— Oui, je suis prêt à rester, répondit le gamin en jetant un
regard complice à son camarade.
Chuluun hocha la tête.
— Je dois en parler à Oyunbiley, nous irons la voir tout à
l'heure.
— Il y a autre chose. En venant chez toi, le facteur m'a
remis cette lettre postée depuis l'étranger et j'ai envie d'en
connaître le contenu. Je ne sais pas lire. Nous avons scellé
une alliance entre nos deux familles, je revendique le droit
d'avoir des nouvelles de nos garçons, dit le visiteur avec un
sourire espiègle.
Chuluun le regarda ahuri, il ne savait s'il s'agissait d'une
plaisanterie. Son confrère lui tendit une enveloppe timbrée,
plusieurs fois tamponnée, écrite de la main de son fils. Trem-
blant d'émotion, il l'ouvrit rapidement et en sortit la lettre.
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