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Citation de Partemps


Louis-Claude de Saint-Martin

PHANOR,

POÈME SUR LA POÉSIE.



J’abjure pour jamais, céleste Poésie,
La vive ambition dont mon âme est saisie,
Si brûlant à l’aspect de ta sublimité,
De chanter tes rapports avec la vérité,
Par un orgueil jaloux, j’appelle la victoire,
Et n’ai d’autre intérêt que celui de ma gloire ;
Ou bien si devant toi, venant me prosterner,
Je n’implore tes dons que pour les profaner.
Non, non, je ne viens point envier la couronne
A ceux que la sagesse appelle vers ton trône ;
De leur juste triomphe admirateur soumis,
Plus j’aurai de vainqueurs et plus j’aurai d’amis.
Il est pur le regard dont mon œil te contemple.
Un zèle saint m’amène aux portes de ton temple.
Je viens m’y consacrer à l’honorable emploi
D’enseigner aux humains les douceurs de ta loi.

Je veux leur découvrir la hauteur des merveilles, Dont tes sons autrefois frappèrent nos oreilles, Et planant avec toi, les forcer d’admirer L’heureux terme où ton nom leur permet d’aspirer. Sous ce nom vers mon but je vole en assurance, L’ardeur de te servir nourrit ma confiance ; Je viens pour te venger, pour braver les arrêts De ces juges trompeurs qui, par leurs vains décrets, Ont souillé tes autels, déshonoré ton culte, Et dont la main profane ajoutant à l’insulte, Ferme ton sanctuaire à tes adorateurs.
Prends ton sceptre, commande à tes traits créateurs, De venir égaler ma force à mon courage. Qu’ils prêtent à mes vers ce charme, ce langage, Ce ton vrai qui saisît, cette douce chaleur Qui sous les yeux du goût, se glisse jusqu’au cœur. Et bientôt les mortels frappés de ta lumière, Ne verront le bonheur qu’au sein de ta carrière. Tout se meut, tout doit l’être au pouvoir de tes dons, Diront-ils, ouvrons donc notre oreille à ses sons ; Heureux, si notre lyre un jour est assez pure, Pour célébrer ses droits sur toute la nature !
Tu m’exauces. J’entends que du séjour des Dieux Tu m’appelles, ta voix m’attire vers les cieux. Déjà calme, impassible aux troubles de la terre, Ce n’est plus qu’à mes pieds que gronde le tonnerre. Loin de ce globe, loin de son souffle empesté, Je crois voir en esprit l’ordre et la majesté Régner dans ces beaux lieux où tu pris l’origine ; Tes crayons se tremper dans la source divine,

Pour prendre en traits de feu la grandeur de tes droits ;
L’air, les astres, l’esprit s’agiter à ta voix ;
Tout l’olympe exhaler cette ambroisie,
Qu’aux siècles reculés, la fable avait choisie,
Non pour marquer des Dieux les loisirs indécents ;
Mais pour nous exprimer ces sublimes élane
Dont tu sais émouvoir l’âme des grands Poètes.
Je vois tous les élus comme autant de prophfcles,
Eclairer l’univers, adoucir ces tourments,
Oser même imposer des lois aux éléments,
En inclinant sur eux le sacré caducée.
Que dis-je, la sagesse à t’instruire empressée,
Dévoile à tes regards ses plus secrets ressorts ;
Et toi tu viens m’offrir ces précieux trésors
Qui ne peuvent germer qu’au sein du sanctuaire.
Oui, Phanor, elle veut que mon flambeau t’éclaire.
Elle est toujours ardente à couronner les vœux,
A s’unir aux accents des mortels généreux
Dont l’esprit se consacre à sa gloire immortelle.
Tout désir vertueux est un titre auprès d’elle.
Viens donc, viens admirer sous ces doctes pinceaux
Les diverses couleurs qui parent mes tableaux.
Cultes, fables, science ou sacrée ou profane,
Tout de la vérité peut devenir l’organe.
Souvent elle a paru sous l’air des fictions ;
Souvent elle a parlé comme les passions.
Mais tu t’abuserais si jamais ta pensée
De ces variétés pouvait être blessée.
Porte au loin tes regards, rends-les assez perçants
Pour discerner partout les signes éclatants

Des dons que m’accorda l’être incompréhensible.
Par lui j’ose embrasser la nature visible,
L’abîme, le cahos, l’homme, le firmament.
Ce grand tout a pour base un sacré fondement,
Qu’an lieu de l’adorer, l’homme voulut connaître.
Vains efforts : l’Être seul de qui tout reçoit l’être,
Dans son essence intime a droit de pénétrer ;
Mais dans ses faits puissants il daigne se montrer ;
Contemple - les : du sein de sa propre lumière,
Jusqu’aux derniers rameaux où germe la matière,
S’étendent les pouvoirs de l’agent créateur.
Par des rayons divers son feu générateur,
Fait briller les trésors de sa source infinie.
L’un de ces traits dans l’homme allumant le génie,
Apprend à ton esprit qu’il est né dans les cieux :
Par l’autre il fait mouvoir l’univers à tes yeux.
D’autres, ministres purs de son intelligence,
Tiennent dans son conseil l’éternelle balance.
C’est-là qu’il pèse au poids de la sainte équité,
Des desseins et des plans dont la sublimité
Ne permet qu’à lui seul d’en percer le mystère.
Malgré ces traits nombreux, il n’est qu’un sanctuaire ;
Il n’est qu’un feu sacré dont les rayons puissants,
Répandus dans les cieux, dans l’enceinte du temps,
Brillent sur ce qui pense et sur ce qui respire ;
Aussi, quelqu’étendu que soit son vaste empire,
Du seul Dieu que je sers tout étant provenu,
Pour cet agent suprême il n’est rien d’inconnu,
Bien qui puisse éviter l’œil du souverain maître.
Dès que les traite divins remplissent tout, nul être

Ne conçoit un désir, n’opère un mouvement,
Sans produire sur eux un vif ébranlement
Qui, par de prompts signaux dont la chaîne est suivie,
Fait que tout monte et frappe au siège de la vie.
C’est peu d’ouvrir les yeux à la nécessité, Que le plus simple fait sur la terre enfanté Se lie à tous les faits de l’ordre incorruptible ; Il faut que cette loi te devienne sensible, Que ton œil entrevoie à cette liaison Une clé lumineuse, une grande raison. Elle existe, et je viens d’en épargner l’étude. Tout consiste, tout gît dans la similitude : Que les lois et les noms de mille objets divers Gardent toujours entr’eux dans les deux univers. Dans ton monde on connaît ces mots : intelligence, Morale, jugement, poésie, éloquence, Et mille autres aux arts, aux talents consacrés. Et dans le mien ces mots bien loin d’être ignorés, D’autant d’êtres vivants sont les noms véritables ; Des suprêmes décrets les lois inaltérables, Aux pieds de l’Eternel ont placé dans les cieux Des agents purs, des chefs qui comme autant de Dieux, Environnés des feux d’une sainte atmosphère, Etendent leurs regards jusqu’au sein de la sphère ; Ils président, chacun en vertu de leurs noms, Sur l’un de ces talents et sur l’un de ces dons, Que l’Être universel remit a, ton usage, Pour orner ton esprit, ton cœur et ton langage. C’est de là que la fable a peint son Apollon, Rassemblant tous les arts dans le sacré vallon,

Les consacrant chacun aux soins d’une déesse,
Et les fertilisant par les eaux du Permesse :
Ainsi sur tous ces dons tu ne peux t’exercer,
Tu ne peux exprimer leurs noms, même y penser,
Sans que ce simple effort opéré dans ton monde,
N’atteigne jusqu’au mien et qu’il n’y corresponde.
A ces noms, à ces chefs, dont les puissants ressorts
De nos deux univers forment tous les rapports :
Mais à leur doux accent, la terre réunie,
Ne veut-elle former qu’une juste harmonie ?
Il faut en s’exerçant dans les terrestres lieux,
Que l’homme sympathise avec ces demi-Dieux ;
Que dans lui tout s’accorde avec leurs lois suprêmes ;
Que précis, mesuré comme ils le sont eux-mêmes,
Le coup d’œil le plus sûr, l’ordre le plus exact,
Règle ses plans, son goût, ses paroles, son tact,
Et l’assimile en tout à ses correspondances.
Sans cela, loin d’offrir de justes consonnances,
Et loin de retracer sous leur vrai coloris,
Ces dons et ces talents des muses si chéris,
Il n’en exprime plus qu’une image confuse ;
Il ne rend qu’un vain son que l’oreille récuse ;
Sa discordante voix n’exprimant aucun sens,
Va remplissant les airs de barbares accents
Qui, propageant au loin leur choc et leur désordre,
De ma demeure même, ont droit de troubler l’ordre.
Qui peut de ces dangers mieux l’instruire que moi, Puisque du saint conseil la souveraine loi De tout temps m’honora du nom de Poésie’ ? En vertu de mon nom l’Eternel m’a choisie

Pour porter à jamais son flambeau souverain,
Sur ce céleste don, sur ce talent divin
Qui passe tous les dons, et pour qui tu m’implore.
Phanor, faut-il fixer les yeux sur son aurore ?
Tu gémiras de voir quelle fatalité
A su depuis longtemps obscurcir la clarté
Dont cet astre radieux brillait à sa naissance.
Ce rayon pur extrait de la plus pure essence,
Aux premiers jours du monde éclaira les humains.
La lumière que Dieu remit entre leurs mains
Devait guider leurs pas dans la nuit de la vie.
Tranquilles, fortunés pendant qu’ils l’ont suivie,
Rien ne peut exprimer les douceurs de leur sort.
Telle est l’activité de ce divin ressort,
Qu’ils semblaient dans leurs vers traduire la nature,
De l’univers entier dessiner la structure ;
Servir partout d’organe à la vertu des cieux,
Tout leur être était plein de l’image des Dieux.
Aussi rien n’égalait l’ordre et la paix sacrée
Qui fforissaient alors au sein de l’empirée.
De mes élus les sons sagement cadencés,
Tous les objets par eux fidèlement tracés,
Et de tous leurs tableaux la touche régulière,
Paraissait à mon œil unir la terre entière.
Ma lyre secondait ces vertueux accents :
Ces saints accords servaient de mobile à l’encens
Dont se doit parfumer l’autel où Dieu réside,
Et semblaient s’élever par un vol plus rapide.
Mais Phanor, plus tu crois à la beauté des dons
Que ces dignes élus puisaient dans mes leçons,

Plus tu sais t’assurer des droits a leurs lumières.
Fixe donc un instant l’objet de nos mystères ;
C’est le prix que mon Dieu destine à ta vertu ;
Le ministère saint que du ciel j’ai reçu,
Me fait servir d’organe à cette récompense ;
Au nom de poésie il joint l’intelligence,
Et, sous ce double titre, il m’est permis d’entrer
Où jamais des mortels l’oeil n’a pu pénétrer.
Bien n’est mort, Dieu voit tout, et tout dans son empire
Vit par lui, de son souffle il engendre, il inspire
L’homme et tous les agents que leur titre divin
Rend libres et chargés de leur propre destin.
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