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Citation de ZahraAroussi


Ce fut toujours plus ou moins la vie des malades et des vieillards : mais précisément, je ne suis exactement ni l’un ni l’autre. C’est ce qui me guérit qui m’affecte ou qui m’infecte, c’est ce qui me fait vivre qui me vieillit prématurément. Mon cœur a vingt ans de moins que moi, et le reste de mon corps en a une douzaine (au moins) de plus que moi. Ainsi rajeuni et vieilli à la fois, je n’ai plus d’âge propre et je n’ai plus proprement d’âge. De même n’ai-je plus proprement de métier, sans être à la retraite. De même ne suis-je rien de ce que j’ai à être (mari, père, grand-père, ami) sans l’être sous cette condition très générale de l’intrus, des divers intrus qui peuvent à chaque instant prendre ma place dans le rapport ou dans la représentation d’autrui.
 
D’un même mouvement, le « je » le plus absolument propre s’éloigne à une distance infinie (où passe-t-il ? en quel point fuyant d’où proférer encore que ceci serait mon corps ?) et s’enfonce dans une intimité plus profonde que toute intériorité (la niche inexpugnable d’où je dis « je », mais que je sais aussi béante qu’une poitrine ouverte sur un vide ou que le glissement dans l’inconscience morphinique de la douleur et de la peur mêlées dans l’abandon). Corpus meum et interior intimo meo, les deux ensemble pour dire très exactement, dans une configuration complète de la mort de dieu, que la vérité du sujet est son extériorité et son excessivité : son exposition infinie. L’intrus m’expose excessivement. Il m’extrude, il m’exporte, il m’exproprie. Je suis la maladie et la médecine, je suis la cellule cancéreuse et l’organe greffé, je suis les agents immuno-dépresseurs et leurs palliatifs, je suis les bouts de fil de fer qui tiennent mon sternum et je suis ce site d’injection cousu en permanence sous ma clavicule, tout comme j’étais déjà, d’ailleurs, ces vis dans ma hanche et cette plaque dans mon aine. Je deviens comme un androïde de science-fiction, ou bien un mort-vivant, comme le dit un jour mon dernier fils.
 
Nous sommes, avec tous mes semblables de plus en plus nombreux, les commencements d’une mutation, en effet : l’homme recommence à passer infiniment l’homme (c’est ce qu’a toujours voulu dire la « mort de dieu », en tous ses sens possibles). Il devient ce qu’il est : le plus terrifiant et le plus troublant technicien, comme Sophocle l’a désigné depuis vingt-cinq siècles, celui qui dénature et refait la nature, qui recrée la création, qui la ressort de rien et qui, peut-être, la reconduit à rien. Celui qui est capable de l’origine et de la fin.
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