Toutes sortes de figures impossibles ou terrifiantes hantent le parcours qui va suivre - étranges figures du poète et du prophète, du séducteur et du travailleur, du voyageur et de l'ogre, de Docteur Différence, du Docteur-des-morts, du Magicien multicolore et du Grand Magicien blanc... Or, ce parcours, ce récit, n'est pas seulement un "conte philosophique" mais aussi et peut-être surtout l'histoire d'une série de lieux et de terriers. Car la prison de Bruno, le château de Sade, Clarens, l'errance de Nietzsche... sont les lieux de l'expérimentation d'un dehors ailleurs impossible. Non pas lieux fermés mais lieux sauvages et inutiles, lieux sans dogmes et sans raison d'Etat, lieux fous ou lieux d'une autre raison qui ne veut ni le salut ni la cure... Ces terriers sont les théâtres où s'est jouée la comédie des penseurs-artistes-irresponsables. Hors les dogmes, hors les normes - répétitions joyeuses et répétitions tragiques - en marge des répétitions de l'ordre, incarnant à chaque instant leurs propres métamorphoses, sans mot d'ordre, dans les figures toujours revenantes du philosophe-artiste. (10/18, p. 17)
Une telle exhibition où, montrant leur âme, elles se dévoilent elles-mêmes quelque peu trouve un écho dans l'art religieux, où l'extase se donne, bien souvent, sous les espèces mystérieuses de la différence féminine.
De saintes pâmées en martyres abîmées, d'extase renversantes en blessures flamboyantes, les bienheureuses et les saintes n'ont cessé durant des siècles de nourrir l'imaginaire de peintres souvent moins pieux que leurs sujets.
(page 13)
Les mystiques, tangentiellement à tout dogme, frôlant donc à chaque instant le délire,l'hérésie, développent, non sans risques, leur sexualité indirecte, dans des livres brûlants que l'amour traverse, et qui sont une revanche ou une apothéose de la féminité.