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Citation de Partemps


Jean-Pascal Dubost
Jean-Pascal Dubost : je ne crois pas que l’écriture n’ait d’autre pouvoir qu’exercé sur elle-même et sur celui qui la travaille, même si elle contient d’immenses possibilités que des écrivains de haute farine et de haut vol nous révèlent au fil des temps. D’immenses possibilités pour se jouer d’elle-même, et pour échapper à la fixation dans le temps présent, celui de l’actualité. L’écriture de mon récit m’a amené à réfléchir constamment à la langue, à sa mise en forme (comme cela me préoccupe constamment pour le poème), je l’ai énormément travaillée, recherchant par elle à échapper à l’emprise autobiographie écrasante ; jouer sur les strates temporelles et narratives était une façon de déjouer mon propre rôle à la fois de narrateur et de personnage central, et de faire jouter invention et réalité, mais dans le même temps, je voulais créer du lien entre tout cela, relier les fragments au moyen d’une tension d’écriture (qui me vient du poème). Ma mémoire est fragmentaire, constituée d’une infinité de trous, et, écrivant du récit, je ne puis que le constater, le montrer, et tenter dans le même élan de lutter contre, contre une aspiration monstrueuse de moi-même en moi-même. Le pouvoir de l’écriture a été peut-être celui de m’attirer à elle et de m’entraîner et de créer du temps ; de me réinventer en réinventant une histoire qui pourrait être mienne, du moins que je me suis appropriée en produisant un effort de mémoire dans le fictif de mon expérience de vie.


Florence Trocmé : tu as une superbe expression (p. 62), « l’émotion lexicale ». Peux-tu revenir, une fois encore, sur cette question du goût des mots ? Est-ce que pour toi chaque livre est aussi le moyen de sauver quelques mots ? Quel usage fais-tu de la citation (tu insères quelque part un conte), des lexiques singuliers ? Te viennent-ils totalement naturellement, dans le fil de l’écriture, ou bien là encore, y a-t’il affaire de décision, de volonté ?

Jean-Pascal Dubost : oui, décision et volonté me gouvernent, peu de choses me viennent au fil de l’écriture même si l’allant d’écrire, l’enthousiasme, le désir, m’entraînent dans des champs lexicaux enfouis en moi, ce qui vient est un rythme en concordance avec l’instant intérieur qu’il faut tendre vers le permanent pour que la syntaxe se déroule au plus près de soi. C’est banal, mais j’accorde une grande importance à la phrase et aux mots qui la constituent, par quoi j’essaie de rassembler passé et présent, lexical et personnel, j’essaie que ma phrase soit du lexical personnel. Mon dessein premier, lorsque j’entreprends l’écriture d’un livre, n’est pas de réveiller ou sauver des mots, mais d’écouter ce rythme dont je parle, rythme narratif pour Le Défait, et d’aller chercher les mots (dans mes carnets ou dans mes dictionnaires) qui le rendent au mieux, et contrairement à Jack Kerouac, que j’ai jadis abondamment lu, qui disait qu’il faut avoir vécu longuement les mots pour les utiliser, je peux utiliser un mot que j’ai découvert juste auparavant, pour me l’approprier, c’est sa part d’inconnu qui m’attire irrésistiblement après avoir fouillé dans son histoire, j’aime ce qu’en les mots je puis prélever d’énergie compensatoire, face à ma très faillible mémoire. J’ai sans doute retenu, et inconsciemment, de l’enfance, l’émerveillement devant la découverte du langage (les mots, les images etc.), et j’ai besoin quotidiennement de ma ration de mots (nouveaux, anciens, disparus, désuets, incongrus, néologiques, étrangers, argotiques, régionaux etc.) pour satisfaire mon appétit de recherche. Une émotion permanente devant la fabuleuse richesse des langues. Très souvent, complètement excité je farfouille dans des dictionnaires à la recherche d’une étymologie, ou d’une signification, ou d’un équivalent, ou d’une première attestation ; il m’arrive souvent de partir en recherche même pour un mot simple, voiture, table… Les mots me transportent ailleurs où je ne pensais pouvoir être, en territoire enthousiaste, ils provoquent l’émotion d’écrire.
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