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Critiques de Jean-Paul Bronckart (1)
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Bakhtine démasqué

Critique de Marc Hersant pour le Magazine Littéraire



Cette «histoire d'un menteur, d'une escroquerie et d'un délire collectif», ce travail acharné de démolition d’idole mené par Jean-Paul Bronckart et Cristian Bota fait sursauter. La question de l’attribution à Bakhtine d’écrits remarquables signés, à la fin des années 1920, par Medvedev et Volochinov, est depuis longtemps un point crucial pour l’interprétation de son oeuvre. Les plus importants des ouvrages incriminés sont Marxisme et philosophie du langage de Volochinov et La Méthode formelle en littérature de Medvedev, le premier proposant une théorie du langage qui semble comporter les fondements de la pensée bakhtinienne telle que Todorov prétend la résumer, le second posant les bases d’une théorie de la littérature censée éclairer les recherches ultérieures du grand savant.

Même si l’on admet que le mythe de Bakhtine a peut-être été en partie le résultat d’une affabulation collective et d’une recherche tourmentée par les études littéraires de leur héros ou de leur saint, ce travail acharné de démolition d’idole mené par Jean-Paul Bronckart et Cristian Bota fait sursauter. Ils ne font pas que nier la responsabilité de Bakhtine dans l’écriture et la conception des deux oeuvres susnommées ; repoussant l’idée qu’un dialogue intellectuel entre les trois hommes puisse être à l’origine de certaines similitudes entre leurs oeuvres respectives, ils refusent à Bakhtine toute grandeur et toute importance dans l’histoire des idées en soutenant, d’abord, que ses propres textes des années 1920 exprimeraient des idées de « droite », absolument incompatibles avec celles, profondément marxistes, de Medvedev et de Volochinov. Ensuite, ils affirment que certains des développements les plus brillants qui font sa gloire ne sont en réalité pas de lui. Le Dostoïevski est ainsi traité comme un patchwork de médiocres éléments bakhtiniens et d’interventions salvatrices de Volochinov qui lui donneraient toute sa valeur. Le génial « Du discours romanesque » est l’objet d’hypothèses similaires, même si les auteurs avouent manquer d’arguments à ce sujet, ce qui handicape lourdement leur démonstration. Enfin, ils estiment que les vrais textes « bakhtiniens » trahissent la médiocrité du penseur et sa tendance au plagiat, quelques passages empruntés à Cassirer du Rabelais de Bakhtine fournissant ici l’argument central, quoique insuffisant.

Les auteurs soutiennent que la présentation par Todorov de l’unité de la pensée de Bakhtine n’est qu’une chimère théorique et que les autres chantres de sa grandeur sont des illuminés ou les acteurs d’un complot aux enjeux difficiles à cerner. Ils parlent même de pratiques « monstrueuses » pour évoquer les synthèses de Todorov ou de Clark et Holquist. Leur thèse est que Bakhtine serait un menteur et un cynique récupérant les miettes de vrais penseurs qu’il n’aurait même pas compris. Ce faisant, Jean-Paul Bronckart et Cristian Bota se placent sur le registre d’attaques « personnelles », proches de la calomnie, dont la seule justification est que Volochinov et Medvedev auraient été eux-mêmes calomniés par certains des hagiographes de Bakhtine. ?il pour oeil, dent pour dent ?

Une des caractéristiques essentielles des textes signés par Bakhtine, qu’on ne trouve pas chez les deux penseurs qui lui sont si favorablement comparés, est pourtant une sensibilité ardente à la littérature, illuminant sa lecture des grands textes. Entièrement préoccupés par des questions philosophiques et politiques, Bronckart et Bota négligent cette dimension et ne daignent même pas reconnaître en Bakhtine un exceptionnel lecteur. Il y a là une lacune gênante. Et, même si certains des problèmes soulevés sont plus que dignes d’examen, le ton péremptoire de cette étude et ses fantasmes de table rase de tous les discours antérieurs sur le sujet peuvent lasser. Les auteurs de cet essai auront réussi à se faire remarquer et à obliger la recherche à répondre sérieusement à leurs thèses provocatrices. Pour une étude sereine des apports respectifs de Bakhtine, Medvedev et Volochinov à l’histoire de la pensée et un rééquilibrage harmonieux de leurs gloires posthumes, il faudra attendre encore un peu.
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