Depuis longtemps déjà, en proie à un processus irrépressible, j’observe que mon pouvoir magique de diriger les choses, les plantes, les bêtes et les gens autour de moi s’affaiblit et disparaît. Peu avant ma naissance, je baignais dedans comme dans le liquide amniotique et, encore après elle, j’en étais si imbibé que je pouvais le puiser au seau, mais maintenant il m’arrive à peine à la cheville et ce que je peux tout au plus remplir, ce sont des seaux de nostalgie pour ces temps lointains.
Et il me semble que j’aie commencé à perdre ce pouvoir à partir du moment où j’en ai pris conscience. Il existe probablement entre les deux faits une connexion directe : moins je savais et plus je pouvais. A peine sorti du ventre de ma mère, et suffoquant encore dans les larmes et les mucosités, je faisais revivre les choses mortes autour de moi, j’intervenais dans le destin des gens proches ou lointains et peut-être même que je faisais dévier les étoiles de leur trajectoire, provoquais des éruptions solaires, touchais la terre de mes petites mains impatientes, interdisant à tout jamais l’herbe d’y pousser, déplaçais des yeux dans le ciel un nuage radioactif et me vautrais en rêve avec d’immenses animaux fabuleux. C’étaient les jours les plus heureux de ma vie, voilés aujourd’hui, depuis longtemps, par la membrane de l’oubli.