Et si notre langue n'est pas aussi abondante et riche que la grecque ou latine, cela ne doit pas être imputé comme un défaut congénital, comme si d'elle-même elle ne pouvait jamais être que pauvre et stérile ; c'est dû à l'ignorance de nos ancêtres, qui ayant (comme le dit [Saluste], parlant des anciens Romains) en plus grand recommandation le bien faire que le bien dire, et aimant mieux laisser à leur postérité les exemples de vertu que les préceptes, se sont privés de la gloire de leurs belles actions, nous privant par là du fruit de l'imitation [de la narration] de celles-ci. Mais qui oserait dire que les langues grecque et romaine ont toujours été dans l'état d'excellence où on les a vues du temps d'Homère et de Démosthène, de Virgile et de Cicéron ? Et si ces auteurs avaient jugé que jamais, quelque effort qu'on eût fait pour les soigner et pour les cultiver, elles n'auraient su produire meilleurs fruits, se seraient-ils tant efforcés de les amener au point où nous les voyons maintenant ? Aussi en dirai-je de même de notre langue qui commence seulement à fleurir sans encore fructifier ; ou plutôt elle ressemble à une plante qui, n'ayant pas encore fleuri, n'en est pas moins susceptible d'apporter tout le fruit qu'elle est promise à produire.