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Citation de lglaviano


[Quand la Kena porte la colère et la peine de l’Indien…
Extrait de Yawar fiesta (La fête du sang, chapitre 2 : le dépouillement, 1/4) de José María Arguedas] DÉBUT:

[À la recherche de pâturages pour leurs troupeaux, du fait d’un accroissement de la demande à l’exportation, les mistis(1) ou blancs de Puquio(1) sont venus progressivement exproprier tous les punarunas(2), Indiens des hauts-plateaux andins, avec la complicité du gouvernement et des autorités locales, et faire main basse sur leurs terres].

« Voilà comment les bergers des pâturages de Chaupi et de K’ollana disparurent peu à peu. Les Indiens qui n’avaient plus ni bêtes, ni huttes, ni grottes, descendirent au village. Ils arrivèrent dans leur ayllu(3) comme des étrangers, traînant derrière eux leurs casseroles, leurs peaux et leurs jeunes enfants. Avant, ils étaient des punarunas(2), de vrais bergers des hauteurs ; ils descendaient au village uniquement pour les grandes fêtes. Alors ils arrivaient dans l’ayllu avec des vêtements neufs, des visages gais, et beaucoup d’argent pour la boisson, pour les gâteaux, pour acheter des outils ou des étoffes de couleur rue Bolívar. Ils entraient fièrement dans leur ayllu et on les fêtait. Mais aujourd’hui, une fois appauvris, pourchassés par les mistis, ils arrivaient amaigris, bleus de froid et affamés. Ils disaient à ceux qu’ils rencontraient:
─ Nous voici, petit père ! Nous voici donc, petit frère !
Le varayok’, le maire de l’ayllu, les recevait chez lui.
Après on les appelait au travail, et avec les comuneros(4) de l’ayllu ils bâtissaient ensemble en sept ou huit jours une maison neuve pour l’homme de la puna(2). […] De punarunas, ils devenaient comuneros des villages. Et une fois à Puquio, dans l’ayllu, ils haïssaient encore plus le notable qui les avait dépouillés de leurs terres. Dans l’ayllu, il y avait des milliers et des milliers de comuneros, tous unis, tous égaux. Là-bas, ni Don Santos, ni Don Fermín, ni Don Pedro ne pouvait les abuser. Le punaruna qui avait pleuré sur l’herbe jaune de la puna, le punaruna qui avait subi les fers, qui avait cogné sa tête contre le mur de la prison, cet « Andin » qui était arrivé le regard apeuré, maintenant qu’il était devenu comunero de Chaupi, de K’ollana ou de K’ayau, il avait le courage de regarder en face, rageusement, les notables qui entraient dans les ayllus pour demander des services. »

1- misti : les autochtones appellent ainsi les blancs, colons grands propriétaires et notables de Puquio (du kechwa pukyu, qui signifie «source»), petite ville des cordillères sud du Pérou, 3214 m, ≈15 000 habitants, capitale de la province de Lucanas, département d’Ayacucho.
2- punaruna : homme de l’altitude, indien des hauts plateaux. La puna désigne les hauteurs de la montagne, l’altiplano andin comme l’estive ou l’alpage en Pyrénées et Alpes. Runa signifie « être humain », comme "inuit", et on le retrouve dans le nom inca de la langue kechwa (ou quechua), le Runa simi (« langue des hommes » ou « langage du monde »).
3- ayllu : communauté villageoise indigène, autonome ou regroupée dans un quartier d’une ville.
4- comunero : Indien vivant dans une communauté indigène, membre d’un ayllu ; c’est le terme hispanique. En kechwa on dira : cumunkuna. C’est un américanisme du castillan qu’on peut traduire par « villageois » ou « paysan » (notion d’enracinement de l’Indien dans un terroir) ou « communards » (notion de militantisme pour un mode de vie et de structuration sociale héritées des traditions ancestrales amérindiennes). De même, dans les Andes « campesino » (paysan en français) signifie Indien plutôt qu’agriculteur, même si (ou parce que) les deux sont liés le plus souvent.

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