Joseph Staline

Dans Matérialisme Dialectique et Historique, Staline résume les principes de la pensée marxiste, et de la vision matérialiste et dialectique de l'histoire. Il s'agit d'un ouvrage extrêmement bref (surtout comparé aux titanesques oeuvres de Marx comme le Capital) et très accessible, même pour ceux qui n'ont que des connaissances rudimentaires des concepts abordés. le langage employé est simple, et les idées sont relativement bien structurées, souvent accompagnées d'exemples précis (plus ou moins pertinents) que l'auteur utilise pour étayer ses propos.





Cependant, malgré cette simplicité (ou peut être qu'elle en est la cause), ce texte pourrait difficilement être considéré comme le "sommet de la pensée Marxiste-Léniniste" (tel que les critiques soviétiques de l'époque l'ont présenté). Tout d'abord Staline fait de nombreux raccourcis théoriques : par exemple il sépare le matérialisme dialectique en deux parties distinctes, le matérialisme et la méthode dialectique, alors que celles-ci sont indissociables dans la théorie marxiste. Il commet ainsi la même erreur que certains Hegeliens de droite comme Francis Fukuyama, qui accusaient le marxisme de reprendre de façon indépendante la méthode dialectique d'Hegel (en simplifiant donc de façon conséquente la pensée marxiste). Certains des exemples employés, comme se baser sur les changements d'état (liquide - solide - gazeux) pour démontrer que tout changement social ne passera que par un révolution prolétaire violente et soudaine, sont intellectuellement malhonnêtes, même si on les retrouve également chez Marx et Engels, qui sont d'ailleurs très largement cités dans l'ouvrage (sans surprise).





Les raccourcis et simplifications sont encore plus évidents lorsque Staline parle de "métaphysique", qu'il considère comme "idéaliste", et opposée à sa vision marxiste-léniniste (qu'il qualifie de "scientifique"). Sa compréhension de Kant et de Hegel se limite à un point de vue marxiste orthodoxe, assez critiquable, et est liée à ce rejet de la métaphysique (il ne se rend pas compte qu'il fait justement ce que l'on considère comme de la... métaphysique). On a ici à faire à une œuvre très dogmatique, qui offre une vision du monde assumée totalement ancrée dans le marxisme-léninisme. Au vue des évolutions théoriques et historiques depuis les années 30, les limites sont évidentes.





Finalement, si cette présentation simple des principes de la dialectique matérialiste aurait pu paraître convaincante il y a 100 ans, au vu de la situation sociale et politique de l'époque, le lecteur d'aujourd'hui ne peut s'empêcher de sourire face à cette vision des changements du monde qui se veut scientifique : cette révolution prolétaire annoncée comme inévitable semble bien loin d'arriver, et les États ayant suivi la théorie marxiste-léniniste promue par Staline ont tous disparu ou ont basculé dans des théories révisionnistes du marxisme, en s'éloignant largement du dogmatisme et l'orthodoxie qu'il défendait.





Il est intéressant de mentionner que dans mon édition ce texte était accompagné par un autre livre de Staline, "Anarchisme ou Socialisme ?", publié plus de 30 ans auparavant. Ce dernier ne mérite pas une critique séparée, puisque l'intégralité des points présentés se retrouvent dans Matérialisme Dialectique (au point où à plusieurs reprises des formulations sont copiées mot pour mot). Pour quelqu'un qui se considère suffisamment versé en dialectique pour en écrire un livre, l'immuabilité de son opinion en dit long sur ses qualités en tant que dialecticien.





Finalement, comment ne pas mentionner l'attrait que montre Staline pour les théories génétiques du Lamarckisme, qui relèvent de son excès de dogmatisme et sa volonté d'appliquer les préceptes du matérialisme dialectique à tous les aspects de la réalité (la génétique mendélienne étant donc perçue comme essentialiste, "métaphysique", et... bourgeoise).





Une lecture qui reste tout de même très intéressante, et permet d'offrir une compréhension rudimentaire de la dialectique matérialiste et des principales bases du marxisme, mais avec de nombreuses limites et simplifications théoriques. L'ouvrage a le mérite d'être très accessible, tout en mettant en évidence les grandes failles du marxisme telles que la téléologie de l'évolution de l'histoire.