AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de art-bsurde


- Je ne sais que vous dire. Notre pauvre raison est bien notre unique recours, et c'est justement pour cela qu'on lit Holberg, Bayle et Locke. Mais si, dans mon ignorance, je me permet de critiquer un peu ces auteurs, c'est uniquement en ce qu'ils oublient avec tous leurs raisonnements que l'homme est foncièrement déraisonnable et ne peut pas vivre hors de l'égarement. Je ne suis pas très loin de croire, comme mon frère, au pêché originel !
- Au pêché originel ?
- Oui, ou si vous voulez à la déraison originelle. Pêché et folie ne sont au fond que deux noms pour désigner la même chose. Cette folie irrite cruellement mon frère Wenzel. Il l'appelle pêché. Il se livre sur ce chapitre à de longues jérémiades et prend le ciel à témoin de la profonde misère de son cœur. Je ne me sens pas, croyez-moi, meilleur que lui d'un cheveu, et me considère comme un malheureux égaré. Tout bien considéré, mon cher Monsieur Aggerso, que sommes-nous d'autre que des bêtes perpétuellement possédées par la rancœur, la cupidité, le désir et la vanité – oui, surtout par la vanité? Il secouait la tête en riant. Hélas ! Telle est notre nature, que ce soit du diable ou de quiconque que nous tenions cette âme de singe stupide.
Vous avez raison, dit Monsieur Paul, que ne serions-nous pas si Dieu, dans son amour, ne nous avait donné la grâce qui nous lave de tous nos pêchés ?
La grâce, dit le juge, peuh ! La grâce. Pardon. Qu'est-ce donc que la grâce, sinon une cassolette qu'on respire quand la puanteur du pêché devient trop âcre ?
[...]
- Voyez-vous, dit Johan-Hendrik, le démon, nous ne le chassons jamais de notre cœur, que nous soyons chrétien ou athée. Avez-vous lu Pascal ? Non. Mon frère Wenzel non plus ne l'a pas lu. Mais il a lu Kingo, et dit volontiers avec lui : « O monde d’ici-bas, je t'ai longtemps servi, mais je suis triste et las. » Il n'est bien entendu ni triste ni las, il n'est qu'un pauvre diable comme nous tous. Moi, je ne sais vraiment pas comment le Seigneur arrive à faire entre nous la différence. Ma pauvre petite raison m'a bien conduit jusqu'à connaître ma folie, mais jamais jusqu'à vouloir améliorer mon cœur indocile. Cette raison ne m'a pas aidé plus que la grâce. Je ne crois pas pouvoir honorer Dieu autrement qu'en utilisant la lumière qu'il m'a donnée, en dépistant le mal en moi, en tachant de me rendre utile dans la sphère où j'ai été placé. Dans ma condition, il y a peu à apprendre et moins encore à faire. Mais vous, mon ami, vous devez savoir que les hommes qui rencontrent la véritable grâce sont justement ceux-là dont se joue le Destin, à condition, bien entendu, qu'ils daignent en tirer une leçon.
Commenter  J’apprécie          10





Ont apprécié cette citation (1)voir plus




{* *}