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Citation de Partemps


Ou bien maintenir à tout prix la liquidité de la langue, sa
disponibilité, en tentant, par une inattention rigoureuse aux affinités des mots, aux liaisons syntaxiques, à tout ce mécanisme
verbal qui, si nous n’y prenons garde, s’ingénie à chaque instant
à penser pour nous tout seul, de laisser le champ libre à «l’aimantation»intérieure du subconscient. Tentative séduisante,
mais qui ne va pas sans des risques certains. La « continuelle
infortune» qu’a été selon Breton l’histoire de l’écriture automatique dans le surréalisme tient peut-être à une double exigence,
à peu près impossible à satisfaire, et dont les premiers surréalistes, acharnés à aboutir malgré tout, n’ont pas tenu suffisamment compte en effet l’abandon total au «caractère inépuisable
du murmure «, à la dictée intérieure, y doit se doubler d’un
effort de tous les instants, et qui réclame, lui, l’attention la plus
soutenue, pour desserrer les mâchoires du langage, pour paralyser ses mécanismes moteurs, toujours prêts à se substituer à la
pensée qui lâche la bride. Une langue, et surtout une langue qui
comme la française a beaucoup servi (il s’agit ici de son usage
littéraire) tend à ressembler de plus en plus à un système compliqué d’aiguillages entrecroisés – où le mécanicien aux yeux
bandés, beaucoup plus souvent que de provoquer quelqu’une
de ces magnifiques catastrophes de locomotive renversée dans
la forêt vierge dont rêve Breton, risque, plus banalement encore
que d’autres, d’aboutir au cul-de-sac ensommeillé d’une voie de
garage: on ne l’a déjà que trop vu. (...). L’autre solution (...) vise
tout autant que la première à provoquer cette rupture des mécanismes semi-automatiques de la langue qui est la condition
même de la création; mais tandis que les tenants de l’écriture
spontanée y tendent seulement afin de laisser la place libre au
courant, au « murmure » qui devra disposer désormais de la langue comme d’une matière ductile, les poètes conscients du
type valéryen, fort étrangers à cette notion de « champ libre »
voient dans la réflexion et le travail sur les données du langage
l’unique moyen de libération. Le goût du langage dans ce qu’il
a de plus arbitrairement, de plus gratuitement «donné»: rimes,
rythmes, clichés, assonances, «gênes exquises » se justifie pleinement – non sans d’ailleurs continuer de nous gêner à notre
tour – à une telle manière de voir. On pourrait la caractériser
comme la reconnaissance spontanée du besoin d’un cadre rigide préétabli où accrocher ses pensées pour pouvoir en expliciter les virtualités les plus intimes.
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