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Citation de Cannetille


(...) n’est-ce pas la véritable révélation cachée dans la Recherche, qu’on heurte et qu’on fait tout pour ne pas prendre la mesure du mal causé, pour rester aveugle aux petites terreurs exercées sur les autres en se justifiant par le Bien, en se mettant du côté du Bien et en se convainquant soi-même de nos nobles intentions? Le seul salut possible, écrit Proust, est l’oubli, le lichen qui efface le nom gravé sur la tombe de nos crimes; les délires de l’auteur sur le temps retrouvé voilent, pense Céline, le véritable propos du livre, l’espérance d’une rédemption, le fantasme d’un lieu où n’existerait plus la souffrance des autres. On prend tellement de précautions pour ne pas faire de mal qu’on n’imagine jamais être aussi terrible que ces gens qui nous ont blessés et qui, dans nos esprits humiliés, adoptent des traits monstrueux, nous leur composons des masques repoussants parce que sommes bien pires qu’eux. On heurte, on heurte et puis on meurt, c’est tout. Il n’y a pas de rapprochement possible entre les êtres, pense Céline, sans ces collisions et ces dommages; chaque relation est un supplice enduré et infligé dont on ne se remet jamais. Toute la jalousie du narrateur de la Recherche, son anxiété, sa paranoïa quant à l’infidélité d’Albertine ne sert qu’à motiver son entreprise de torture, ses petites passions totalitaires, à fonder dans le Bien ses pièges, ses attaques et ses geôles. On croit répondre à une agression mais on agresse, on croit protéger du feu mais on brûle, on croit sauver de la noyade mais on retient sous la surface de l’eau le visage bleuté, étouffé qui nous tire vers le fond. C’est ce que révèle Proust. Nos craintes de faire le mal, comme nos défenses vertueuses, sont des formes déviées, des théâtres intérieurs qui nous détournent du mal commis, à chaque instant, à chaque geste, ce mal qui se répand et renverse le monde. La douleur des autres, leurs souffrances sont inconcevables, elles seraient trop perturbantes pour nos esprits fragiles, on est prêt à tuer pour ne pas voir la peine qu’on leur fait.
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