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Citation de najnaje


V pour Vendetta
Mais c'est en utilisant la figure de Guy Fox, suite à une suggestion de Lloyd, que la bande prend définitivement son envol. En inscrivant dans l'ombre de cette figure martyrs du Catholicisme qui tenta de faire sauter la Chambre des Lords le 5 novembre 1605 ( un événement historique connu sous le nom de la Conspiration des poudres), Moore s'empare du personnage comme d' un symbole universel de la contestation, une figure de l'anarchisme libertaire. Derrière son masque, V incarne la revanche de tous les faibles, des proscrits, des anormaux, rejetés par cette société nouvelle qui ne prospère que par et dans la peur. Dans un monde soumis à l'ordre et à l'injustice, V prône le chaos, l'insoumission et vise à désorganiser un à un les piliers d'un régime structuré autour du Nez (le Nouveau Scotland Yard), de la Main (la police secrète), de la Voix (la propagande), de l'Oreille et de la Vision (la surveillance audio et vidéo), le tout sous le contrôle d'un démiurge au sommet, omnipotent, car omniscient le Destin. Celui-ci voit tout, entend tout, et contrôle tout. Victime de l'injustice de ce régime, V le rendra aveugle, muet et sourd. Ce qui ne pourrait être qu'une banale histoire de vengeance se part, dans les mains de Moore, d'une puissance réflexion politique. Le scénariste va ainsi à rebours des codes traditionnels de la BD de super-héros et des vengeurs masqués, d'ordinaire alliés objectifs d'un pouvoir forcément légitime. En cela, il peut-être vu précisément comme un double inversé du hiératique Judge Dredd qui paraissait dans l'autre revue britannique 2000 AD.
L'auteur construit autour de V tout un monde en négatif et questionne la place et le rôle du héros justicier dans un monde inique. V vient renverser les valeurs, instiller de l'irrationnel dans le rationnel, du rêve dans le matérialisme. Capable de comprendre les rouages de cette machine implacable vouée à la déshumanisation, V met tout en place pour détruire cette société. Plus que les bombes, son arme de destruction massive la plus subversive est la parole, le langage. Dépositaire de la culture du passé précieusement préservée dans son Musée des ombres, l'Arlequin au sourire sardonique et un acteur né, maîtrisant à la perfection l'usage des métaphores, des citations, rejouant sur un mode grandiloquent des passages tirés de Shakespeare ou des psaumes... Par sa logorrhée brillante, V désarçonne ses ennemis habitués à une langue neutre, fonctionnelle, vidée de son sens et d'affect, renvoyant à la novlangue du 1984 de Georges Orwell. V sème le trouble, redonne de la valeur aux mots pour se faire in fine un confesseur qui mine le pouvoir de l'intérieur. Sorte de messie laïc, V appel à une insurrection- résurrection du peuple. Contre le fatalisme de l'aliénation volontaire, il somme la population de reprendre son destin en main, de faire face et de lutter contre son inertie coupable à l'image de Evey et de Rosemary Almond, la femme d'un ponte de la police politique a assassiné par V et qui trouve une forme de rédemption en fomentant le seul acte de rébellion de sa vie. La subtilité du propos de Moore et de sortir de tout manichéisme qui réduirait V pour Vendetta à un petit traité d'anarchie politique basé sur une dialectique binaire. Dans une diatribe terrible envers une justice "catin" qu'il estime dévoyée et complice du pouvoir, l'accusateur V se montre sans pitié pour ses bourreaux, mais encore plus sévère envers une population devenue amorphe et apathique qui a préféré sacrifier sa morale au profit du confort et d'un semblant de sécurité. Trop insaisissable, trop complexe, trop pur, V et un trouble, dont l'intransigeance se révèle lors de la "conversion" d'Evey, un passage terrifiant qui marque un basculement clé dans le déroulement du récit. Moins que le pouvoir, c'est plus précisément la soumission volontaire pour un pouvoir qui est au cœur de la réflexion de V pour Vendetta, ce qui fait du livre un classique encore aujourd'hui. En dehors de ses qualités narratives intrinsèques, les parties pris esthétiques radicaux de David Lloyd ont permis de donner toute l'amplitude requise à l'univers en clair-obscur de Moore. Pensée à l'origine pour une publication en noir et blanc dans Warrior, la bande permet au dessinateur de jouer sur des contrastes marqués et expressionnistes, et d'utiliser audacieusement des décors photocopiés avec ses illustrations pour accentuer la familiarité inquiétante de la fable. Lors de la poursuite du projet aux États-Unis suite à l'arrêt de Warrior, DC demande une mise en couleur pour ne pas désarçonner le lectorat américain. Contre toute attente cette colorisation apporte une réelle plus-value grâce à l'utilisation d'une palette atones et délavée, inondant le récit d'une lumière blême, "froide comme la glace", achevant de rendre hors norme ce projet. De fait, si après le coup d'éclat final de V, plus rien ne sera comme avant pour l'Angleterre, il en est de même pour Moore qui signe là son premier chef-d'œuvre.
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