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Citation de Charybde2


Si je lève les yeux du roman de Don DeLillo, c’est pour les plonger dans d’autres livres, mais aussi pour regarder vers New York, Staten Island. L’immense décharge de Fresh Kills fermée depuis 2001 est en cours de réhabilitation. Elle deviendra, une fois achevé ce chantier de transformation immense, un parc récréatif naturel ouvert aux habitants de Staten Island et à tous les New-Yorkais, le Central Park du XXIe siècle. Sur le site de l’Alliance, association chargée de la promotion du futur parc, on peut déjà voir les images de ce que deviendra le projet une fois achevé : une pure nature, des prairies qu’un vent léger fait ondoyer, des images de synthèse aux bleus et aux verts saturés, sur lesquelles on n’a pas oublié les petites silhouettes en habits légers, joggeurs en plein effort, promeneurs aux sourires éclatants, chiens et enfants. Le slogan de l’Alliance annonce la « bonne nouvelle » : Recycle the Land, Reveal the Future. On savait que grâce au recyclage, une canette de bière peut se transformer en vélo, mais que devient la terre lorsqu’elle est recyclée ? Elle redevient elle-même ? Dans un reportage consacré à la transformation miraculeuse, l’anthropologue chargée de superviser la réhabilitation explique que New York a été bâtie, comme toutes les grandes villes, sur des déchets, qu’il suffit de creuser un peu pour trouver ces reliques, qu’il en va de même pour Central Park. Simplement, aujourd’hui, on considère qu’il s’agit d’archéologie urbaine, rien de plus.
J’apprends aussi qu’à Paris, tout parc présentant quelque relief a été, même brièvement, une décharge : les carrières des Buttes-Chaumont, le parc Montsouris, et même, oh ! même le petit labyrinthe du Jardin des Plantes. La pratique est ancienne, même si elle a de quoi surprendre, et pourtant, je ne puis m’empêcher de considérer le futur parc de Staten Island comme une incarnation du simulacre, le lieu artificiel par excellence, non seulement parce qu’il est constitué des restes de plus de soixante ans de consommation effrénée, mais surtout parce qu’il veut se faire passer pour ce qu’il n’est pas : un parc naturel, comme si la bonne volonté, associée à l’intelligence des ingénieurs et des concepteurs, pouvait effacer des décennies de mépris. Mépris de ce territoire naturel, marche saline, marais impropre à tout usage commercial, mais abritant une faune et une flore variées ; mépris pour les habitants de Staten Island, ceux de l’île, les bouseux, à qui on relègue la décharge, la puanteur, tout ce dont on ne veut pas.
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