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Citation de Charybde2


Sans doute, cela tenait à peu de chose. Tous nous savions qu’elle avait des secrets, des secrets qui n’étaient pas comme les nôtres. D’une certaine manière, cela se voyait, mais personne n’aurait su dire à quoi. Rien ne signalait la vie à double fond de Vertu ; elle n’était ni plus ni moins taciturne qu’un autre flic taciturne. Sans doute, elle n’avait jamais été spécialement loquace. Et si par hasard, à l’extérieur de la brigade, on l’interrogeait sur son travail, elle n’expliquait pas de quoi il était question. Elle répugnait toujours à parler d’elle-même, comme si déjà, c’était se trahir. Elle répondait poliment, simplement : « Je suis flic. » Alors, elle voyait l’étonnement, toujours, et parfois la haine. Cela ne la dérangeait pas.
Lorsqu’elle voyait la haine, elle n’essayait pas de la détourner. Elle ne précisait pas, par exemple, qu’elle n’avait plus mis les pieds dans la rue depuis des années. Elle voyait la haine, elle la regardait, impassible. Elle la recevait. Elle offrait son visage et son corps à la détestation stupéfaite et muette de son interlocuteur.
Elle songeait : les flics aussi vous haïssent. Elle voulait bien prendre sur elle une part de cette haine qui ne la concernait plus vraiment. Cela lui allait. Elle préférait, même. Elle avait vu des visages s’éclairer, les rares fois où elle expliquait précisément en quoi consistait son travail : la fraude. Les petites arnaques, l’usurpation d’identité, mais aussi le banditisme en col blanc. Le blanchiment.
Cela oui, les gens appréciaient. On s’intéressait à elle, alors, on lui demandait des détails. On la trouvait admirable, soudain. Cet enthousiasme lui répugnait. Pour tout dire, elle le méprisait. Elle préférait la haine, vraiment.
Elle pensait aux collègues de la rue, ceux qui descendaient sur le pavé armés jusqu’aux dents, avec des directives contradictoires, ceux qu’on jetait en pâture à des foules écumantes de colère, avec l’ordre de maintenir l’ordre, et qui blessaient, qui mutilaient, qui tabassaient, ceux à qui, depuis longtemps, plus personne ne trouvait d’excuse.
Mais Vertu savait que la haine vous tient. Elle est comme une colonne vertébrale, comme une armure, c’est le seul remède à la peur, celui qui étaye vos jambes quand elles refusent de vous porter, celui qui vous fait avancer, qui vous maintient debout. Elle songeait aussi à tout ce gâchis de haine, toute cette haine mal perdue, pour rien, elle imaginait un grand canal de la haine, de toutes les haines confondues, dirigées contre une seule et même cible.
Vertu rêvait d’embrasement.
Elle était flic et elle rêvait de chaos.
On comprendra qu’elle fût peu loquace.
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