BERLOEIL DEMANDE AVEC UNE SOUDAINE ALLEGRESSE DANS LA VOIX:
"A qui peult estre icelluy troupeau de moutons vaguants?
- Quels moutons, Vot' Seigneurie?
- Ceux-là qui se vont allant engloutir à toutes hastes dedans icelles terres d'éboulement.
- Vot'Seigneurie, moi j'voyons rian."
Berloeil commence à se foutre sérieusement en rogne.
"Manant, il fault bien que tu les voyes!
- Vot' Seigneurie, j'ons la vue qu'alle me danse, j'regrettons mais j'y voyons tout d'traviole à cause de la fringale.
- tiens doncques, tu as la vue qui danse! Quand nous serons au chasteau je te feroi danser aussy le cul!
- J'comprenons pas quoi qu'veut dire Vot' Seigneurie?
- J'entends te faire donner des coups de nerf de boeuf à suffisance pour te redresser la vue des yeulx.
- Si Vot' Seigneurie alle y tient tant qu'ça, j'pouvons même vous raconter qu'des moutons j'en voyons cinq cents.
- Les veois-tu ou ne les veois-tu poinct?
- Combian qu'c'est-y que j'devons en voir?
- Il me suffit de cent.
- J'les voyons!
- Et à qui sont-ils?
- A quéqu'un.
- Te crois-tu fourbe, manant?
- J'croyons rian, Vot' Seigneurie?
- Si tu ne crois rien je te feroi brusler comme héréticque!
- Vot' Seigneurie, moi j'suis qu'un vilain, alors m'disez pas ces choses-là et m'y faisez point penser. Y a les curés, les évêques, les cardinals, l'pape qu'ils sont fait exprès pour ça. Y manquerait pus qu'vous m'mettiez en tête à moi itou ces pensées d'croire ou d'pas croire, tiens, pardi!
- Alors pense aux moutons et me sache dire dire à qui ils sont!"
Gros-Nicou se gratte le front ruisselant de sueur et, plus qu'aux moutons, il pense aux coups de nerfs de boeuf promis par le marcomte.