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Citation de Kewbic


Mais, après son départ, l’isolement complet, réel, où je me trouvais pour la première fois de ma vie, me jeta dans un profond désespoir. Je voyais se réaliser cette situation que mon imagination s’était peinte tant de fois ; je mourais loin de ce que j’aimais, et mes tristes gémissements ne parvenaient pas même à leurs oreilles. Hélas ! ils eussent troublé leurs joies. Je les voyais s’abandonnant à toute l’ivresse du bonheur, loin d’Ourika mourante. Ourika n’avait qu’eux dans la vie ; mais eux n’avaient pas besoin d’Ourika : personne n’avait besoin d’elle ! Cet affreux sentiment de l’inutilité de l’existence est celui qui déchire le plus profondément le cœur ; il me donna un tel dégoût de la vie, que je souhaitai sincèrement mourir de la maladie dont j’étais attaquée. Je ne parlais pas, je ne donnais presque aucun signe de connaissance, et cette seule pensée était bien distincte en moi : Je voudrais mourir. Dans d’autres moments, j’étais plus agitée ; je me rappelais tous les mots de cette dernière conversation que j’avais eue avec Charles dans la forêt ; je le voyais nageant dans cette mer de délices qu’il m’avait dépeinte, tandis que je mourais abandonnée, seule dans la mort comme dans la vie. Cette idée me donnait une irritation plus pénible encore que la douleur. Je me créais des chimères pour satisfaire à ce nouveau sentiment ; je me représentais Charles arrivant à Saint-Germain ; on lui disait : Elle est morte. Eh bien ! le croiriez-vous ? je jouissais de sa douleur ; elle me vengeait. Et de quoi ? grand Dieu ! De ce qu’il avait été l’ange protecteur de ma vie ? Cet affreux sentiment me fit bientôt horreur ; j’entrevis que, si la douleur n’était pas une faute, s’y livrer comme je le faisais pouvait être criminel. Mes idées prirent alors un autre cours ; j’essayai de me vaincre, de trouver en moi-même une force pour combattre les sentiments qui m’agitaient ; mais je ne la cherchais point, cette force, où elle était. Je me fis honte de mon ingratitude. Je mourrai, me disais-je, je veux mourir, mais je ne veux pas laisser les passions haineuses approcher de mon cœur. Ourika est un enfant déshérité ; mais l’innocence lui reste : je ne la laisserai pas se flétrir en moi par l’ingratitude, je passerai sur la terre comme une ombre ; mais, dans le tombeau, j’aurai la paix. Ô mon Dieu ! ils sont déjà bien heureux ; eh bien ! donnez-leur encore la part d’Ourika, et laissez-la mourir comme la feuille tombe en automne. N’ai-je donc pas assez souffert ? Je ne sortis de la maladie qui avait mis ma vie en danger que pour tomber dans un état de langueur où le chagrin avait beaucoup de part. Madame de B. s’établit à Saint-Germain après le mariage de Charles ; il y venait souvent accompagné d’Anaïs, jamais sans elle. Je souffrais toujours davantage quand ils étaient là. Je ne sais si l’image du bonheur me rendait plus sensible ma propre infortune, ou si la présence de Charles réveillait notre ancienne amitié ; je cherchais quelquefois à le retrouver, et je ne le reconnaissais plus. Il me disait pourtant à peu près tout ce qu’il me disait autrefois ; mais son amitié présente ressemblait à son amitié passée, comme la fleur artificielle ressemble à la fleur véritable : c’est la même chose, hors la vie et le parfum. (Ourika, Folio, p.88-90)
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