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Citation de Kewbic


Quelque chose de bruyant, de joyeux, faisait de la vie chez M. d’Herbelot comme un étourdissement perpétuel. Là, on ne vivait que pour s’amuser, et une journée qui n’était pas remplie par le plaisir paraissait vide ; là, on s’inquiétait des distractions du jour autant que de ses nécessités, comme si l’on eût craint que le temps qu’on n’occupait pas de cette manière ne se fût pas écoulé tout seul. Une troupe de complaisants, de commensaux, remplissaient le salon de M. d’Herbelot, et paraissaient partager tous ses goûts : ils exerçaient sur lui un empire auquel je ne pouvais m’habituer ; c’était comme un appui que cherchait sa faiblesse. On aurait dit qu’il n’était jamais sûr de rien sur sa propre foi ; il lui fallait le témoignage des autres. Toutes les phrases de M. d’Herbelot commençaient par ces mots : « Luceval et Bertheney trouvent, Luceval et Bertheney disent ; » et Luceval et Bertheney précipitaient mon oncle dans toutes les folies et les ridicules d’un luxe ruineux, et d’une vie pleine de désordres et d’erreurs. Dans cette maison toutes les frivolités étaient traitées sérieusement, et toutes les choses sérieuses l’étaient avec légèreté. Il semblait qu’on voulût jouir à tout moment de cette fortune récente, et de tous les plaisirs qu’elle peut donner, comme un avare touche son trésor pour s’assurer qu’il est là.
Chez M. le maréchal d’Olonne, au contraire, cette possession des honneurs de la fortune était si ancienne qu’il n’y pensait plus. Il n’était jamais occupé d’en jouir ; mais il l’était souvent de remplir les obligations qu’elle impose. Des assidus, des commensaux, remplissaient aussi très-souvent le salon de hôtel d’Olonne ; mais c’étaient des parents pauvres, un neveu officier de marine, venant à Paris demander le prix de ses services ; c’était un vieux militaire couvert de blessures, et réclamant la croix de Saint-Louis ; c’étaient d’anciens aides-de-camp du maréchal ; c’était un voisin de ses terres ; c’était, hélas ! le fils d’un ancien ami. Il y avait une bonne raison à donner pour la présence de chacun d’eux. On pouvait dire pourquoi ils étaient là, et il y avait une sorte de paternité dans cette protection bienveillante autour de laquelle ils venaient tous se ranger.
Les hommes distingués par l’esprit et le talent étaient tous accueillis chez M. le maréchal d’Olonne, et ils y valaient tout ce qu’ils pouvaient valoir ; car le bon goût qui régnait dans cette maison gagnait même ceux à qui il n’aurait pas été naturel ; mais il faut pour cela que le maître en soit le modèle, et c’est ce qu’était M. le maréchal d’Olonne.
Je ne crois pas que le bon goût soit une chose si superficielle qu’on le pense en général, tant de choses concourent à le former ; la délicatesse de l’esprit, celle des sentiments ; l’habitude des convenances, un certain tact qui donne la mesure de tout sans avoir besoin d’y penser ; et il y a aussi des choses de position dans le goût et le ton qui exercent un tel empire ; il faut une grande naissance, une grande fortune, de l’élégance, de la magnificence dans les habitudes de la vie ; il faut enfin être supérieur à sa situation par son âme et ses sentiments ; car on n’est à son aise dans les prospérités de la vie que quand on s’est placé plus haut qu’elles. M. le maréchal d’Olonne et madame de Nevers pouvaient être atteints par le malheur sans être abaissés par lui ; car l’âme du moins ne déchoit point, et son rang est invariable. (Édouard, Folio, p.131-133)
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