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Citation de Charybde2


Pendant mes huit heures de travail j’encaissais les urgences de plein fouet et les abandonnais aussi vite, entendant seulement des bribes de l’histoire, jusqu’à cinquante fois par heure. Nous posions les questions qu’on nous avait dit de poser, nous le faisions vite, en restant dans les clous de la procédure qu’on nous avait apprise le premier jour. Car elle était censée nous protéger contre le désespoir. Si tout se passait comme prévu, la personne qui appelait ne nous parlait pas de l’incendie qui faisait rage au bas de sa falaise ni du cadavre qu’elle venait de découvrir au fond du ravin. Nous attendions que l’appelant entame son dialogue avec l’infirmier ou le pompier, puis nous raccrochions doucement avant de pouvoir entendre les détails. Nous ne devions pas en apprendre davantage. Nous n’étions pas supposer entendre la femme hurler à cause du bébé qui virait au bleu entre ses bras. Mais cette femme éplorée ne savait pas que je n’étais pas la personne à qui elle devait raconter son histoire en détail. Elle ne savait pas que je ne pouvais pas l’aider.
Les centres ne fermaient jamais. Nous faisions les trois-huit, ce qui nous classait grosso modo en trois catégories : le groupe du matin, surtout composé de seniors en chaussures orthopédiques ; le groupe de nuit, bourré de cosplayeurs erratiques, d’autistes, d’obèses et d’anciens taulards ; et le groupe de l’après-midi, où atterrissaient des gens comme moi. Il y avait des acteurs et des sculpteurs, des lycéens qui avaient plaqué le bahut, des étudiants à distance, des paumés, des largués, ceux qui avaient l’impression de faire un boulot utile en attendant de passer à autre chose. Pat, qui me formait, était auparavant avocate en droit de l’environnement ; je n’ai jamais su pourquoi elle avait arrêté.
Nos horaires de travail étaient susceptibles de changer selon les caprices de l’entreprise qui nous employait. Certaines semaines, c’était de quatre heures de l’après-midi jusqu’à minuit plusieurs jours de suite, puis de cinq heures du matin jusqu’à treize heures.
Une fois les stores baissés, il n’y avait pas grand-chose à regarder ni à faire dans le centre d’appels. Des écrans de télévision occupaient les murs de chaque côté de la salle. Ils restaient allumés en permanence mais sans le son. Nous n’avions pas le droit de regarder des émissions ou des films sous-titrés. Nous n’avions pas le droit de lire, de nous servir de nos téléphones personnels, de manger. Aucune distraction ne nous était autorisée. Pour combler les temps morts, nous parlions aux opérateurs assis près de nous, mais jamais des appels. À quoi bon t’en soucier ? me répétait Pat la première semaine, dès que j’exprimais ma détresse.
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