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Citation de Partemps


Marcelin Pleynet
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Il faut savoir qu’Ezra Pound a écrit et publié plusieurs volumes de poésies avant de se consacrer, pendant plus de cinquante ans, exclusivement à l’écriture des Cantos, qui ne voient le jour qu’à partir du moment où le poète trouve une forme susceptible d’assumer sa vision à la fois ponctuelle, fragmentée, discontinue et panoramique de l’histoire.

L’oeuvre d’Ezra Pound s’impose, et produit un événement sans précédent dans l’aventure de la poésie moderne, le jour où le poète découvre l’étude de Fenollosa sur Le Caractère écrit chinois. Il en retient que, dans le procès de composition de l’idéogramme, « deux choses adjointées ne forment pas une troisième chose, mais suggèrent une relation fondamentale entre elles ». Fort de cette découverte, qui implique que « lire le chinois ce n’est pas jongler avec des concepts, mais observer les choses accomplir leur destin », Ezra Pound va s’employer à faire dialoguer entre elles, dans l’accomplissement actuel de leur destin, les figures fragmentaires et dispersées, des civilisations, des langues et des cultures. Et plus essentiellement la culture occidentale et la culture orientale, à travers Dante et Confucius. On doit ainsi comprendre que les pictogrammes chinois qui figurent dans les Cantos s’imposent comme manifestation essentiellement programmatique de l’oeuvre.

Au cours du « Canto LXXVII », Pound accompagne la présence de deux idéogrammes chinois du commentaire : « Savoir ce qui précède et ce qui suit vous aidera à mieux comprendre ce qui se passe. » « LA MUSIQUE »

On entendra que la monumentalité du projet, et sa réalisation, ne sont pas, en conséquence, sans soulever de très nombreuses difficultés d’interprétation et de lecture. Lié au tissu complexe de relations qu’il établit entre des éléments transhistoriques (citations, situations, évocations, références politiques, économiques, linguistiques, artistiques...), chaque « Canto » présente des difficultés, voire des opacités de lecture, qu’il ne faut pas dissimuler. Et moins encore dans la mesure où Pound en revendique le sens porté et l’intelligence mobile. Dans une lettre adressée à Thomas Hardy, en 1921, il écrit : « Je suis parfaitement désireux d’exiger que le lecteur lise avec autant de soin qu’il mettrait pour un texte grec ou latin un peu difficile. »

La poésie de Pound, qui, des années 1920 aux Cantos pisans (1948) est de plus en plus didactique, ne fera jamais l’économie de cette exigence. A un jeune poète, admirateur de l’ensemble des Cantos, mais qui ne comprend pas pourquoi Pound a mis une partition musicale dans l’un des Cantos pisans, Pound répond : j’entends que « vous ne lisez pas la musique ».

C’est là incontestablement un des problèmes que pose cette édition française de l’oeuvre de Pound. A l’exception des traductions de Denis Roche [9], la musique savante manque totalement à la transcription française de la prosodie poundienne. Il en est malheureusement souvent ainsi des traductions. Cela n’en est pas moins particulièrement douleureux appliqué à un poète qui a consacré un temps considérable à ce problème, et dont l’oeuvre principale se constitue de l’intelligence active et du jeu musical qui associent entre elles les langues les plus diverses.

Faute « du rythme qui en poésie correspond exactement à l’émotion ou au degré d’émotion à exprimer » on aurait pu attendre, près de trente ans après la mort de Pound, une édition française qui éclaire le sens et les portées des Cantos en les accompagnant d’un index et d’une chronologie rigoureuse. Il n’en malheureusement rien. Sans index, et curieusement clanique, tendancieuse, partielle, la chronologie de cette édition exclut par exemple aussi bien l’histoire de l’Europe que celle des Etats-Unis (qui occupent pourtant une place centrale dans Les Cantos) pour s’encombrer de très misérables casseroles poétiques. Tout reste à faire en deçà et au-delà de cette édition qui, comme les précédentes, permet pourtant heureusement d’évoquer aujourd’hui le nom de Pound et de partager avec lui cette certitude :

« Ce que tu aimes bien demeure, le reste n’est que cendre
Ce que tu aimes bien ne te sera pas arraché
Ce que tu aimes bien est ton seul héritage
A qui le monde, à moi, à eux ou à personne ?
D’abord tu as vu, puis tu as touché
Le Paradis, même dans les corridors de l’Enfer,
Ce que tu aimes bien est ton seul héritage,
Ce que tu aimes bien ne te sera pas volé. »
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