Même si, que ce soit sournoisement ou à visage découvert, le sexisme sévit partout, Marlène Coulomb-Gully a circonscrit son essai à la politique, ce monde à part où les femmes sont arrivées depuis très peu de temps. La chercheuse s’est plus particulièrement intéressée à un attribut essentiel de la personnalité. La voix. Avec pour navrant constat que la façon dont la voix des femmes est accueillie pose incontestablement un problème. Et une question dont on redoute la réponse : « Une voix est-elle porteuse de compétence et de légitimité même en dessous de 170 hertz ? »
La politique est impitoyable pour tout le monde, hommes et femmes confondus. Seulement, les femmes n’étant entrées dans l’arène que très récemment, il est d’autant plus aisé de dresser à leur encontre l’arme des lâches : le sexisme. Devenu fléau ordinaire. Le propos évoque ici le parcours courageux de femmes ayant choisi de s’exposer parce qu’elles estiment avoir des choses importantes à dire. En espérant non seulement être prises au sérieux mais surtout entendues. Or les femmes ont un problème d’ordre physiologique qui influence à la fois leur façon d’être et la manière dont la société les perçoit. Ce problème tient au b.a.-ba de la communication, il est lié à la façon dont le message qu’elles ont à transmettre est reçu. Il tient au véhicule de ce message. Et le véhicule, c’est leur voix. Marlène Coulomb-Gully explore ainsi cinquante ans d’histoire politique, de Simone Veil à Valérie Pécresse, Anne Hidalgo et Marine Le Pen pour cerner comment les femmes ont malgré tout fait porter et compter cette voix en terrain hostile.
On sait que la voix change quand on jongle d’une langue à l’autre. Quand il est question de la sphère politique, les gens du commun se demandent parfois même si leurs dirigeants parlent le même langage qu’eux. À raison. C’est scientifiquement prouvé, la voix des politiques s’habille d’une certaine façon, la fréquence diffère en effet quand ils ou elles s’adressent à leurs électeurs potentiels. La voix politique doit charmer, hypnotiser même. Si le peuple était conscient, il n’irait plus voter… C’est l’injonction persuasive du python Kaa qui susurre « Aie confiance. » Les coachs vocaux sont même là pour veiller au « grain ». Margaret Thatcher (elle n’est évidemment pas la seule) a ainsi beaucoup travaillé afin notamment de gommer son accent au point d’obtenir une « voix de camouflage ». Avec le résultat qu’on connaît.
Mais pouvoir et autorité riment mal avec féminité. Si, en politique, la langue est souvent de bois, les dames sont rarement de fer. De plus, depuis que le monde est monde, ce n’est pas un scoop, les femmes ont toujours eu le mauvais rôle. Avec là encore, un serpent qui rôde… Alors rien d’étonnant à ce qu’elles ne soient pas les bienvenues en politique, chasse habituellement bien gardée par les hommes, lesquels, sur ce terrain, n’ont pas coutume de s’envoyer des fleurs. Des noms d’oiseaux oui en revanche. Toutes celles qui en ont fait l’expérience en ont aussi fait les frais. Insultes, interruptions systématiques, critique de leur voix, inaudible ou trop aiguë, voire hystérique. Est-il meilleure façon de signifier aux femmes qu’elles n’ont pas leur place dans l’ordre du discours ? Et les mauvaises langues de se déchaîner. Selon certains « Arlette Laguiller ânonnerait un texte de certificat d’études, Édith Cresson ferait vulgaire, Eva Joly outragerait la langue française » et, au double prétexte qu’elle est femme et noire, d’autres n’ont eu ni honte ni scrupules à accabler Christiane Taubira.
Simone, Christiane, Édith et les autres : elles ont marqué leur époque
Des femmes politiques françaises ont laissé leur empreinte dans la vie politique. Ainsi des lois portent leur nom : loi Veil de 1975 sur l’IVG et la loi Taubira de 2013 relative au mariage pour tous. Et feront parler d’elles encore longtemps. Simone Veil et Christiane Taubira à qui, on peut le dire, le « sale boulot » a été confié puisque les enjeux de société auxquels leur nom restera à tout jamais associé ne feront de toute façon jamais consensus. Néanmoins, au moment de défendre leur copie, leurs capacités oratoires avaient été saluées, y compris par leurs opposants.
Quant à Édith Cresson, Première ministre du 15 mai 1991 au 2 avril 1992, elle s’en tire très mal. En plus de multiplier les bourdes, entre autres sa sortie sur l’homosexualité des Anglais, sa voix aux sonorités faubouriennes ne passe pas. Parfaite illustration du double standard. Ainsi, l’effet de nombre fait que, si un homme avait parlé comme Édith Cresson, cela serait passé inaperçu tant on est habitué à ce que la gent masculine dise des inepties. Seulement, cette dernière relève du phénomène de foire. La femme à barbe peut aller se raser. Première femme « Premier ministre », on ne pardonne pas à Édith Cresson d’avoir accédé à un poste régalien, par nature réservé aux hommes, et son franc parler desservi par une voix de poissonnière (avec le respect dû à cette catégorie socio-professionnelle) ne plaide pas en sa faveur. Même son physique jugé plutôt avantageux ne la sauve pas. Au contraire, elle passe pour une… Enfin vous comprenez. Les stéréotypes ont la peau dure. Là encore, les hommes s’en sortent avec les honneurs puisque plaire à la « belle Édith » conforte leur réputation de séducteurs. Ainsi, n’en faut-il pas plus – et c’est déjà beaucoup ! – pour discréditer une femme malgré ses compétences.
On ne peut faire l’impasse, alors qu’il est question de parole, de femme et de politique, sur le fameux « débat » télévisé organisé à l’occasion de l’entre-deux tours des élections présidentielles françaises. Moment érigé en véritable tradition républicaine. Avec une exception en 2002 quand Jacques Chirac a refusé d’affronter Jean-Marie Le Pen.
Un débat qui n’est rien d’autre qu’une lutte jusqu’au dernier sang sous couvert d’échange policé très codifié, un duel verbal en somme d’où triomphera non pas le plus malin mais le plus éloquent. Alors qu’on taxe facilement les femmes de frivolité et de superficialité, on pourrait suspecter l’électorat français (composé depuis 1945 d’hommes et de femmes) d’une certaine immaturité. Autant revenir à l’applaudimètre comme dans la Grèce antique dans ces conditions… Ségolène Royal et Marine Le Pen, deux femmes aux antipodes sur un plan politique, ont pour point commun non seulement d’y avoir participé mais aussi d’avoir récolté les critiques les plus assassines.
Une pionnière
Olympe de Gouges : femme politique considérée comme une pionnière du féminisme. Rédactrice de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Née le 7 mai 1748 à Montauban, elle est morte guillotinée le 3 novembre 1793 et a laissé à la postérité la célèbre phrase : « La femme a le droit de monter à l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune. »
Merci à Babelio et aux éditions de l'Aube pour cette lecture.
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