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Citation de Ryelandt


Martin Ryelandt
Réception du livre de Martin Ryelandt «Le cavalier»

Ceci n'est pas un cavalier.

Quand j'ouvre un livre d'auteur, j'ai d'abord un a priori, que le livre vaut : je pars à la découverte, je m'installe et me laisse conduire.
Alors, avec ce préjugé, j'ai peur de l'ennui, des fautes de goût, des redondances non maîtrisées, des répétitions non décidées, j'ai peur que le voyage ne soit pas au rendez-vous. Parfois, il me suffit de lire trois mots, et je sais, qu'il n'y aura pas lendemain.

Ici ça commence plutôt bien: «Antoine Friedland quitta subitement la file de marcheurs et se glissa sans se faire remarquer dans un taillis de chênes verts». Cet incipit me plut. Ça marche, ça se cache, ça se hâte : la métaphore du chemin, vieille comme le monde, -le chemin de Parménide -, la métaphore du voile, vieille comme le monde -la physis aime à se cacher- se plaisait à nous répéter notre professeur de philosophie, en citant Aristote, et enfin «quitta subitement» la hâte ! Le kairos, cher à Aristote, encore lui. Hâte, merveilleux signifiant remarqué par Jacques Lacan dans l'apologue des trois prisonniers! Ici aussi, trois temps : le moment de voir (le voile tombe), le temps pour comprendre (le chemin), le moment de conclure (quitta). Ouf, j'étais chez moi, tout en étant chez l'autre. « Je est un autre, mais toi aussi ! », ai-je lu ce matin sur une carte postale.

Après avoir été conquise par le style, les résonances, le tempo, l’atmosphère,… je dus me résoudre à reconnaître : je n'y comprends rien (à l'histoire), ça « résonance », ça « chapitre », ça « mélodie », ça fait voir, oui mais quant à articuler le tout…je déteste les « touts ».

Alors j'ai relu, toujours dans le désordre, - quand j'aime, je lis sur le mode aléatoire - les chapitres, une fois, deux fois… avec autant de plaisir, je les ai lus à haute voix pour certains, puis un matin, oui je crois j'ai trouvé un fil, des fils…mais au fond, du fil, je me fiche. Avec d'autre œuvre célèbre, je n'ai pas dépassé le premier chapitre - le chat du rabbin -, dont la première scène est si consonante avec mon univers et si riche de trouvailles que je la passe en boucle ; sans jamais avoir envie d'aller au-delà.

Lire un livre ryelandtien demande donc du temps, du travail, de l'effort.
S'avouer, un moment, qu'on n'y comprend rien.
Savourer à chaque moment, la musique.
Relire le livre dans le désordre, pour goûter le tempo, pour laisser apparaître la trame et se laisser à nouveau saisir par l'« haïku » des dialogues, des chapitres, des phrases.
Épuiser le livre petit à petit, chapitres par chapitres, phrases par phrases, un crayon noire à la main, scanner le livre au scalpel,

et on découvre, que derrière l'apparent désordre, se trouve une marche « implacable », un chevauchée !

donc je reprends la démonstration,

le cavalier

c'est

un roman, oui, il y a une histoire, une intrigue, des histoires, des personnages, auxquels il arrive quelque chose…

un thriller, oui, « on a peur ! » il y a du suspens, du vrai suspens, une atmosphère sourde, des menaces qui plane ...

freudien, oui, il y a une idée de la cause qui effleure, ou plutôt des hypothèses de causes, un « ne pas savoir dire non » ou encore, une « non-maternité » comme cause de la bifurcation d'un chemin...

deleuzien, oui, le livre est un plan d'immanence avec un jeux de forces qui se croisent, se dépassent, se contournent, reviennent en arrière, accélèrent, se retiennent,...

nietzschéen, oui, aucun arrière-monde, ou chef de file, tout est en surface, tout est dans le détail, dans la matière,...

lacanien, oui, il y a des sujets, mais causés, surpris, produits, qui n'apparaissent que par des traces, par des actes manqués, par des lapsus, sujets qui surgissent par éclipse, sujets connus de nous, lecteurs, avant d'être connus d'eux-mêmes,…

post-moderne, résolument, les dialogues ryelandtiens le sont à plus d'un titre dans leur concision ; ils sont taillés au scalpel,

du 21ème siècle, avec un personnage qui pose un constat « nous ne sommes plus rien que des interfaces du marché »,

tragique : oui, assurément, on n'est ni dans le comique, ni dans la bouffonnerie, ni dans le cynique même si on le frôle, dans l'ironie, guère plus. Ici, Dieu est mort ou dans une version plus analytique, ici l'Autre n'existe pas ; une fable tragico-poético-philosophique.

J'ai eu le sentiment que la plume de Martin Ryelandt, s'auto-dirige de manière à éviter la faute de goût que serait un roman à clé, elle fuit un Autre trop consistant, elle fuit la symétrie, la cause unique, elle vogue entre déterminisme et créationnisme (les personnages sont à la fois déterminés, à la fois créateurs d'eux-mêmes), elle oscille entre conte et réalité (Montagne Bleue et Blanche de Bruges), entre structure et événement.

A la fin du voyage, on atterrit avec quelques trouvailles, « j'aime le café mais il ne m'aime pas », variante de l'histoire du fou guéri de se croire poule, qui sort de chez son psychiatre et qui revient en courant. « Oui je sais que je ne suis pas une poule mais la poule, le sait-elle ! » ; ici apologue du café, que je tiens, de l'auteur lui-même, de lui avoir été inspirée par son propre père.

Les personnages ne pensent pas dans ce livre, ils actent, ils prennent acte des conséquences de ce qu'ils ont fait, et un matin, après un carnage, après avoir tout perdu, l'a-héros est saisi par un savoir sur son désir qui lui revient : « il sut qu'il voulait vivre »

Lire le cavalier, c'est marcher pieds nus sur des débris de verre brisé, qui renvoient nombre reflets et écorchent, en même temps, la peau du pied…

« La bataille est merveilleuse »

Isabelle Robert, Bruxelles le 10 janvier 2015


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