Michael Bracewell

Souvent, alors qu'il ne parvenait pas à dormir, Martin s'était surpris à égrener ces moments de son existence où il s'était publiquement, et sans compter, apitoyé sur son propre sort. Ces souvenirs lui causaient un vif embarras. Ils lui évoquaient ces gens ivres, qui croyant faire preuve de discernement et de nobles sentiments, ne suscitent qu'ennui et dégoût chez leur auditoire. Pour Martin, chroniquement en quête d'un public attentif, et qui s'imaginait non moins chroniquement que les variations de ces états émotionnels étaient d'un romantisme suffisant pour susciter un intérêt, il était vital d'avoir sans cesse à l'esprit le conseil que Steve lui avait donné.

En résumé, tendre vers une compréhension esthétique immédiate de son environnement avait fourni à Martin une aire de jeux intellectuelle où il pouvait s'ébattre à coeur joie - tout à fait ignorant de ce qu'il cherchait vraiment à atteindre. Il avait certes trouvé un raccourci qui apaisait sa vanité, mais non son esprit. Il se servait de cette érudition récente pour se persuader lui-même qu'il était plus intéressant que ses amis.

La vie - pour certains - est présentée comme une corne d'abondance et ne fait rien au fil des ans pour ternir cette réputation, regorgeant d'expériences heureuses et de trésors de beauté à explorer afin de fournir à chacun de nouvelles raisons d'exprimer sa gratitude. (...) En revanche, pour d'autres (et ils sont légion), les années passées à l'école d'art rimèrent, et riment encore, avec déprime et pathologie mentale.

Pendant ses trajets quotidiens, il lisait des livres difficiles, qui encourageaient une tristesse romantique ou une forme de désespoir ironique et subtil. En un mot, il adhérait à tous ces arts qui prônaient l'insatisfaction. Et c'est avec de tels matériaux qu'il étayait son bien-être. Il pensait ainsi être à l'opposé des comportements usuels.

Il est étrange de constater à quel point être plongé dans le flou semble rassurer les gens qui doutent d'eux-même.

Un joli visage tient presque du banal et ses traits ne détiennent une vérité que pour qui les trouve beaux.

Il voulait réussir rien qu'une seule chose, et triompher de l'ennui.