Les années 1590-1600 ont été marquées par l’essor des « tableaux de chevalet », dits également « tableaux pour collectionneurs » par opposition aux décors à fresque. Soutenue par un marché actif, l’indépendance nouvelle de ce genre à part entière s’accompagna d’une évolution de la pratique picturale qui délaissa la stricte narration au profit d’une approche plus réflexive disposant de son propre langage. C’est à ce passionnant moment de l’histoire de l’art que Michael Fried, professeur à l’université de Baltimore, consacre son ouvrage, fruit d’une série de conférences données en 2004 à la National Gallery of Art de Washington. Il y interroge notamment les liens complexes que Caravage noua avec l’autoportrait, dédiant un important essai au Jeune Garçon mordu par un lézard, oeuvre majeure de la jeunesse du maître. Analysé par l’auteur comme une clé d’interprétation de l’art du Caravage, il constitue le véritable fil rouge de l’ouvrage. Fried s’intéresse tout particulièrement à l’usage qu’il fit du miroir, inversé ou non, un vecteur lui permettant de tisser un dialogue sophistiqué avec le spectateur. La fortune de ce procédé ne se démentira pas puisqu’il sera réutilisé à plusieurs reprises par ses successeurs jusqu’à Matisse. Une autre partie de l’ouvrage vient finement analyser l’étrange multiplication de personnages absorbés par leurs pensées, comme repliés sur eux-mêmes, qu’il met en parallèle avec le caractère profondément dérangeant de protagonistes s’adressant du
regard directement au spectateur, parfois au sein d’un même tableau.
Michael Fried postule l’existence dans ces autoportraits de deux « moments » distincts qui constitueraient un élément de réponse à la question de l’exceptionnelle fascination qu’exerce toujours cette peinture. Outre un nouveau regard particulièrement stimulant sur l’oeuvre de celui que l’on considère comme le père du réalisme moderne, l’ouvrage propose de nombreux rapprochements avec celle d’Annibal Carrache, son grand rival, ainsi que celle de ses successeurs Orazio et Artemisia Gentileschi, Bartolomeo Manfredi ou encore Valentin de Boulogne.
Par Olivier Paze-Mazzi, critique parue dans L'Objet d'Art 527, octobre 2016
Commenter  J’apprécie         50