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Citation de Cielvariable


D'après le gouvernement américain, nous sommes en train de vivre la période de croissance la plus longue depuis une génération. Chaque semaine, Wall Street bat un nouveau record sur un marché qui est sans conteste le plus exubérant du siècle. Le taux de chômage est le plus bas depuis vingt-cinq ans. Les profits des entreprises atteignent des sommets jamais atteints. Aux Etats-Unis, tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Ce qui explique sans doute pourquoi un enfant américain sur quatre vit dans la pauvreté, pourquoi un nombre record d'Américains se sont déclarés en faillite en 1996, pourquoi le revenu réel stagne depuis près de vingt ans, et pourquoi le nombre de salariés qui ont peur d'être licenciés a doublé depuis 1991, d'après un sondage récent commandé par la Réserve fédérale.

Le fait est que 40 % de la richesse du pays appartiennent désormais à 1 % de la population. Cette minorité de superriches a su profiter de ses ressources pour subventionner les démocrates et les républicains, lesquels le leur ont bien rendu : abattements d'impôts, milliards de dollars d'aide aux entreprises et carte blanche pour licencier des millions d'Américains.

En attendant, la majorité d'entre vous vit sur trois MasterCards bloquées. Votre journée de travail est si longue que, avec de la chance, vous pouvez voir vos enfants une petite demi-heure avant qu'ils aillent se coucher. Votre couverture sociale se réduit à une assurance bidon auprès d'une HMO. L'école de vos enfants est un désastre, vu que les autorités locales se ruinent à vouloir convaincre les entreprises de rester sur place en leur faisant cadeau de leurs impôts (de toute façon, elles s'en iront un jour, mais seulement après avoir saigné la région à blanc).

J'ai écrit ce livre pour tous les citoyens américains que leur expérience quotidienne amène à soupçonner que tous ces beaux discours sur le « grand miracle économique » sont la plus formidable opération de propagande dont ils sont victimes depuis que Reagan a essayé de faire passer le ketchup pour un légume frais. Est-ce qu'ils nous prennent vraiment pour des crétins ? Apparemment, oui. Si j'ai écrit ce livre, c'est essentiellement pour démontrer que je ne suis pas tout à fait aussi crétin (si on veut bien fermer les yeux sur les petits problèmes de grammaire qui apparaissent ici et là dans mon texte).

À l'époque où j'écrivais ce livre, il ne se passait pas une semaine sans qu'une grande entreprise annonce des licenciements en masse. Et puis il y a eu un retour de manivelle, et une vague humeur anticapitaliste a commencé à se répandre dans tout le pays (souvenez-vous des photos patibulaires de P-DG publiées dans Newsweek avec la légende « Des patrons tueurs ? »). Les poids lourds du business se sont vite ressaisis. Ils ont laissé tomber les annonces officielles de dégraissages massifs et ont commencé à virer les gens en douce, à l'usure ou par petites doses, pour ne pas faire de vagues.

J'ai quand même compté les vaguelettes. Si vous voulez connaître quelques-unes des entreprises qui ont viré des salariés au cours de l'année 1996 qui a suivi la publication de mon livre aux États-Unis, voilà les noms : Monsanto, Texas Instruments, Télé-Communications International, Inc., NEC, AOL, Sunbeam, Westinghouse, OshKosh B'Gosh, Goodyear, Samso-nite, Polaroid, US Robotics, Teledyne Water Pik, Texaco, Best Products, Motorola, Office Depot, Union Pacific, Kiwi International Airlines, TRW, Turner Broadcasting, Bank of America, Georgia Pacific, First Boston, Frankenmuth Brewery, Digital Equipment, Honeywell, RJR Nabisco, Aetna, NationBank Corp., Chase Manhattan Bank, Hewlett Packard, Fruit of thé Loom, General Electric, Alcoa, Hasbro, US West, Raytheon, Prudential Insurance, Campbell Soup, Southern Pacific, Bradlees, Electric Boat, Whirlpool, NordicTrack, Kmart, Lockheed Martin, Apple Computer, Sizzler, Wells Fargo, McDonnell Douglas, Wm. Wrigley Jr. Co.

Vous n'avez sans doute pas entendu parler de ces licenciements. S'ils sont passés comme une lettre à la poste, c'est que la presse les a pratiquement ignorés. Les médias ont viré leur cuti, et on ne compte plus les articles et les reportages sur la « fin des licenciements », la « prospérité économique » et le bonheur dans lequel nous baignons tous. À part les millions de chômeurs qui ne sont même plus comptabilisés parce qu'ils ont épuisé leurs droits à l'aide sociale et les millions de salariés qui sont forcés de cumuler deux emplois pour pouvoir payer leurs factures. Et à part le fait que le nombre des licenciements a en fait augmenté de 8% en 1996.

Bien que son diagnostic s'appuie sur la situation du milieu des années quatre-vingt-dix, la morale de ce livre, je l'espère, n'est pas limitée par les variations des indicateurs économiques annuels. Ça bouge méchamment du côté du grand capital, et si ça bouge, ce n'est certainement pas pour vous rendre la vie plus facile ou plus heureuse. Il faut croire que vous êtes déjà des millions à vous en douter, vu le succès de l'édition cartonnée. Au moment où j'écris, elle en est à son huitième tirage. Le livre est resté un mois sur la liste des meilleures ventes du New York Times et cinq mois sur celle des meilleurs livres d'entreprise du Times. Il a été numéro un à San Francisco et à Détroit, numéro deux à Boston et numéro quatre à Washington. Il a même fait un tabac en Grande-Bretagne. A mon avis, l'opinion est beaucoup plus avancée que les médias et les politiciens sur toutes ces questions.

J'ai mis à jour un certain nombre de données pour l'édition de poche américaine, et ajouté quelques coups de gueule intempestifs supplémentaires, mais la plupart des faits correspondent au matériau utilisé en 1996. Les chefs d'entreprise passent, les chiffres varient avec les saisons, mais la substance de leur signification, ainsi que celle de mes commentaires, n'a pas changé.

Tant que nous vivrons en démocratie, mon espoir reposera sur une vérité fondamentale : le P-DG d'Exxon dispose du même nombre de voix que vous et moi, à savoir une seule. Mais nous sommes beaucoup plus nombreux que lui.

Michael Moore
Août 1997
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