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Critiques de Michel Jobert (1)
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Mémoires d'avenir

L’auteur écrit il y a 48 ans dans la foulée de son départ du ministère des Affaires étrangères qu’il a occupé en 1973-1974 sous Pompidou.



C’est d’abord le récit assez émouvant du dénuement de son enfance près du site de Volubilis au Maroc, sans électricité ni radio.

Puis ses invraisemblables déplacements à partir de juin 1940 entre le Maghreb et l’Europe, comme étudiant puis militaire, même quand il est blessé, avant son installation définitive à Paris en 1946.



A partir de sa collaboration avec Pierre Mendès France en 1954, c’est toute la vie politique qui est passée en revue depuis les coulisses. Le détail des événements de mai 68 alors qu’il est conseiller du Premier ministre depuis 1963, les points saillants de la présidence Pompidou…

Dans la France de 1969, celle du Concorde, qui développe à grand train sa puissance nucléaire et dont le budget est à l’équilibre, il est déjà question de retard industriel et économique.



On voit comment, en avril 1973, Kissinger tente de mettre l’Europe sous tutelle, et la belle riposte de la CEE. A cette époque le projet européen est de constituer une force d’équilibre de neuf nations, indépendante des deux blocs, le contraire d’une Commission qui dicte tout aux Etats membres. Une discussion pour une défense commune s’entame déjà entre la France et l’Allemagne.

Sur la défense européenne « on ne prendra pas aisément de grandes libertés avec les orientations données car elles répondent à l’intérêt national, qui est d’abord l’indépendance et la dignité. » (p.269) C’était vraiment une autre époque…

Pour les Etats, l’Europe est l’espoir de gagner en souveraineté, avec pour résultat 50 ans plus tard… le désespoir d’avoir perdu en souveraineté.

Les dirigeants des années 70 avaient été combattants, ils avaient connu la guerre. Il n’était pas concevable pour eux qu’on puisse un jour se laisser déposséder par une Commission.



On réalise aussi que la « guerre froide » connaît des moments chaleureux, en particulier grâce au très enjoué Brejnev qui visite les Etats-Unis et la France en juin 1973 et que Nixon et Pompidou semblent apprécier.



On découvre que le jeune ministre des Affaires étrangères algérien de cette époque est Abdelaziz Bouteflika, qu’il est très aimable et entretient les meilleures relations avec Jobert.

Suite à des agressions contre des Algériens, Boumediene avait décidé en septembre 1973 de suspendre l’émigration vers la France. On regrette que ce type de rétorsions n’ait pas perduré.



Il ressort de cette lecture une idée de la fragilité de la France, malgré les Trente Glorieuses.

Superpuissance depuis Louis XIV jusqu’en 1920, blessée en 1870 puis écrasé en 1940, le pays se relève péniblement et son image dans le monde est dégradée.

Toutes les initiatives de redressement et de grandeur masquent mal la réalité de son recul sur la scène mondiale. Et les petits pays en profitent. En octobre 1956, l’Egypte n’a pas peur de la Grande-Bretagne et de la France réunis… « L’Inde faisait la leçon et d’autres encore. La France était un Etat abusif et velléitaire et on évoquait son grand passé, pour lui faire encore plus honte de l’abandon dans lequel elle était tombée. » (p.97)

C’était il y a 66 ans… et ça n’en finit pas. Aujourd’hui, ce pays continue de s’enfoncer dans la décadence et plus personne ne le respecte ; ses élites lui expliquent que sa population issue du tiers-monde et qui le hait et le violente est en réalité une chance pour lui ; ses policiers sont humiliés entre les petits dealers qui les caillassent et l’Etat qui leur demande de mettre un genou à terre.



On referme le livre avec tristesse, avec une étrange nostalgie pour une époque qu’on n’a pas connue, mais avec respect et reconnaissance pour ces hommes du XXe siècle qui se sont battus pour leur liberté et leur nation, et qui ont su reconstruire en se tenant éloignés des rancœurs. Qui ont su continuer à se parler et à se rencontrer malgré les intérêts divergents, et qui ont pu le faire précisément parce que chacun restait chez soi et qu’ils respectaient leurs identités sans s’imposer aux autres.

C’était souvent horrible avant, mais c’était parfois mieux.



Je recommande aux lecteurs de visionner les voyages officiels de Pompidou à l’étranger. Son passage à Chicago sous les huées, l’accueil chaleureux de Brejnev à Rambouillet…

Cela apportera de la chair et de la vie à ce livre admirable mais parfois un peu sec.



On l’a surnommé « Rikikissinger » et « le roquet d’Orsay ». Jobert c’est un peu aussi l’homme ‘figuier de Barbarie’, aride et discret, aux raquettes douces et polies, et pourvu de quelques épines fermes et assumées.

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