Michel de Bourbon Parme

La mission qu'on me donna était plus pacifique
mais aussi difficile. Je fus attaché à un bureau de
liquidation près de Paris. Il s'agissait de dissoudre
les organisations du maquis et, aussi vite que possible,
de rendre ses membres à leurs occupations
normales. Mais il ne faut pas croire que ça allait
tout seul. Beaucoup d'entre eux avaient, durant
des années, mené une vie aventureuse et dangereuse.
Ils avaient abandonné leur foyer et leur
travail, vécu en dehors des lois et s'étaient habitués
à des actions violentes, impulsives. L'idée de rentrer
chez eux, de mener une existence qu'ils estimaient
monotone leur paraissait insupportable. Et
puis, ils s'étaient engagés eux-mêmes dans leurs
propres formations, s'étaient mis des épaulettes,
avaient pris rang de commandant ou de colonel.
Ils étaient vexés que l'État ne reconnaisse pas ces
grades et ne leur donne pas la solde correspondante.
Nombre d'entre eux étaient des gaillards
sauvages qui ne voulaient pas entendre raison. Ils
ne marquaient de respect qu'aux officiers parachutés
avec lesquels, au cours des dernières années,
ils avaient partagé les bons et les mauvais jours.

On nous y fit subir un examen
physique et intellectuel. Un officier écossais était
chargé de l'examen intellectuel. Il s'agissait de
répondre à une série de questions et aussi d'en
poser nous-mêmes. Quand vint mon tour, je me
souviens que je demandai : « Qu'est-ce qu'un
Écossais a sous sa jupe ? » Au lieu de se fâcher,
l'examinateur se mit à rire et m'annonça que
j'étais reçu.

L'étrange cortège se dirigeait vers le marais.
Arrivés à son bord, les deux éléphants qui soutenaient
l'énorme bête se retirèrent, tandis que celui
qui se tenait à l'arrière continuait de pousser. Il
était facile de comprendre que l'ancêtre éléphant,
usé par la vieillesse ou la maladie, était conduit à
la mort par ses camarades et sa famille.
Lentement, il commença à disparaître dans la
vase sans fond, comme un grand navire de guerre
qui sombre après avoir reçu le coup fatal. Il ne faisait
pas le plus petit mouvement pour se maintenir
à la surface. La troupe, durant ce temps, immobile
comme des statues de pierre, regardait le grand
corps gris s'abîmer, de même que le cortège d'un
enterrement assiste à la descente du cercueil.