A trois heures précises, Mik bondit sur ses pieds. Au-delà du double flot des voitures dominicales, la porte, là-bas, venait de s’ouvrir, les frères paraissaient sur le seuil. Ils se séparèrent d’ailleurs presque aussitôt. L’aîné remonta vers le haut de Creil, le plus jeune – Daniel – traversa au feu vert de la rue Marcel-Philippe et prit à gauche la rue Saint-Cricq.
Avait-il encore un rendez-vous policier ? Allait-il de nouveau « s’entretenir amicalement » avec le Corse ? Il semblait en tout cas fort connu, et, au hasard des gamins rencontrés, distribuait sans marchander poignées de main, sourires, coups de poings joueurs. Aussi blond que lui, il rappelait beaucoup le petit Serge de la rue Murillo.
Franchissant sur ses pas les grilles du parc municipal, le Chat-tigre vit ces lieux noirs de monde. Au pied de La Paix se révélant à l’Humanité, laquelle en avait grand besoin, le jeune Daniel reçut sur la tête un ballon, que Mik rattrapa au vol. On sait que les ballons, comme les chats Plume, facilitent énormément les choses. Dix minutes plus tard, MM. Mercadier et Lécuyer juniors grimpaient côte à côte l’escalier rustique et capricieux des collines…
Voyageur sans bagages, Mik sauta sur le quai un peu avant deux heures. Dans le hall de la gare, il s’assura des horaires de retour pour Paris, acheta un plan de Creil et des environs, puis gagna la place Carnot, construite avec beaucoup d’élégance. De là se découvrirent à lui les deux bras de l’Oise, une verdoyante nature. Sur l’île, repaire jadis inexpugnable de Charles le Mauvais, roi de Navarre, se dressent le vieux château, la tour crénelée, l’Hôtel de Ville. Et, à gauche, la superbe flèche de Saint-Médard domine l’antique cité.
Ne te fatigue pas, ma belle, je vais te dire comment ça s'est passé.
Vous cambrioliez une villa. Oh, une bicoque qui paraissait abandonnée et qui ne payait pas de mine, tiens peut-être un espèce de bungalow très isolé sur les pentes de la montagne, avec un arbre foudroyé et une grille démantibulée... ça ne te dit rien? Tu faisais le guet! On t'avais collé un revolver à tout hasard. C'était la première fois. Il n'y avait personne avec toi. Tu avais peur... très peur... Et puis, il y a eu des cris. Tu as vu une silhouette s'avancer vers toi. Tu étais affolée, tu as tiré... L'homme est tombé. Un peu plus tard on t'as montré un imperméable tâché de sang et on t'a dit ! "Tu ne l'as pas raté...".
Pas plus qu'Hubert, Dominique n'aime à se pencher sur son passé. Ils se sont rencontrés un jour de déprime, devant des alcools innommables et une machine à sous qui digérait les leurs en oubliant de rendre la monnaie. Longtemps après minuit, lorsque le bar a fermé ses portes, il a bien fallu partir. Hubert qui venait de tirer un trait sur dix-neuf années plus lourdes de chagrin que d'espérance, ne voulait pas renter chez lui. Dominique l'a emmené. Depuis ils ne se sont plus quittés.
- Bonsoir, Tonton. Je te préviens que si tu l'arrêtes, je te déshérite!
- Par le ciel, ne parle plus d'héritage! Mes filles m'auront coûté trop cher... Mais arrêter Mitou, Mik, tu perds la tête!
- Oh, avec tes maudits inspecteurs, faut s'attendre à tout!
- Des propos pareils! gémit Tonton Léon qui commence à explorer deux douzaines de poches à la recherche de ses cigarettes.
- Dame! T'es là comme oncle, ou comme enquêteur?
- Mik, je vais me fâcher.