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Citation de Charybde2


Sur l’un des murs de mon bureau, il y a un grand tableau magnétique. Je l’ai installé après avoir vu la série Homeland, mais jusque-là, je n’y ai accroché que des pense-bêtes, des photos de mes filles, des numéros de téléphone que je n’ai jamais composés. J’enlève tout. Je cherche un portrait de Grace Hopper (avec vernis à ongles), je l’imprime et je l’accroche au centre du tableau. Juste à côté, je mets une photo de Boris, puis des images de jeunes hommes entre eux, dans la guerre, le rock, un vestiaire, une boîte, une chambrée, une salle de garde, un bar, une cité.
Je sais bien que je n’ai ni meurtre ni coupable à trouver mais j’ai un mystère à élucider. Je me prends pour Carrie Mathison (l’héroïne de Homeland), j’espère voir à force de regarder. J’adopte des poses de profileur, jambes légèrement écartées, bras croisés, tantôt concentrée tantôt distraite. Son tableau à elle est en liège et je lui envie le geste de punaiser rageusement de nouveaux éléments ; c’est plus vif que de faire glisser des aimants. Plus silencieux aussi.

Les écrivains ont déjà bien à faire comme ça pour ne pas en plus se mêler de technique et de science. Flaubert n’écrit pas sur la machine à vapeur, Proust ne cherche à comprendre ni l’électricité ni le téléphone. J’aime les métiers, j’aime les expertises (sans doute ai-je le sentiment de n’en avoir aucune). J’imagine ma grand-mère débarquer dans une usine de téléviseurs, exiger qu’on lui explique comment ça marche, et menacer de ne pas bouger tant qu’on ne le lui aura pas expliqué. Mais là, c’est différent. Ni la machine à vapeur ni le téléphone ne produisent de signes, aucune de ces inventions ne vient grossir la flotte graphique sur laquelle les humains transportent leur savoir, leur pensée, leur langage. Le code, ce sont des signes sous les signes, du langage avant, sous le langage, proto, infra, méta, comme on voudra. Une écriture qui précède l’écriture. Sous les claviers qui cliquettent, les doigts virtuoses, jaillissent une algèbre véloce, une grammaire multicolore, de vieilles polices de machine à écrire comme d’avant l’ordinateur, des signes de ponctuation, des caractères spéciaux, une langue vivante qui pourtant ne se parle pas. Une écriture qui succède à toutes les écritures au sens où elle les utilise toutes, les mélange, les combine, lettres, chiffres, tout.
On ne dirait pas comme ça mais le code fait la synthèse, c’est la troisième révolution graphique. Des révolutions, il y en a une tous les deux mille ans à peu près : la première invente l’écriture des langues (en – 3300), la deuxième celle de la monnaie frappée en – 620 (les nombres), et la troisième date de 1936, c’est le code qui traduit les lettres en nombres (même si c’est plus compliqué que ça). Tous les deux mille ans, c’est une scansion anthropologique qui balaie tout sur son passage, accroît la civilisation, la propulse en avant.
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