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Citation de paulotlet


Mon père nous a abandonnés en plein hiver, laissant ma mère avec neuf enfants sans aucune ressource. Ma mère alla trouver le curé, qui bientôt intéressa plusieurs dames à notre sort. Elles furent tout de suite d’accord pour me mettre, jusqu’à ma majorité, dans un établissement de bienfaisance. Notre ahurissement fut intense. Ma mère, s’étant rendue à cet établissement pour les arrangements à prendre et ayant vu des petites filles qu’on y élevait, vint nous dire que ces enfants avaient l’air si matées et s’inclinaient si profondément devant la supérieure, et ceci... et cela... Bref, l’idée seule de savoir sa petite Keetje ainsi aplatie lui serrait la gorge. Quand elle dut signer un acte par lequel elle aurait renoncé à tout droit sur moi, elle refusa. Zut ! Elle aimait mieux que j’eusse faim avec elle ! En somme, nous en avions vu bien d’autres ! Ce nous fut un grand soulagement de nous être décidés à crever de faim ensemble…

Nous étions livrés à une charité étroitement méthodique, qui nous classait à jamais parmi les vagabonds et les « outcast ». Mon père ne donna pas signe de vie pendant les six mois que dura son escapade. Un dimanche matin, il ouvrit la porte et rentra, le sac au dos... L’attitude de ma mère disait : « Tu viens nous ôter le pain de la bouche ! » On sut en effet que mon père était revenu et on ne nous donna plus rien. Ma mère avait un mari jeune et vigoureux, n’est-ce pas ? ... très capable de travailler pour les neuf enfants qu’il avait envoyés dans le monde.

- Que vont-ils devenir ? Que vont-ils devenir ?

- En voilà des histoires ! Qu’est-ce que cela peut bien te faire ce qu’ils deviennent, pourvu que tu t’en tires ? Du moment où tu as des livres à lire, tu te moques bien du reste ! Si tu aimais tant les enfants, tu ne les cognerais pas comme tu fais !

Je bondis devant ma mère en rugissant.

- Mais je veux qu’ils apprennent, qu’ils apprennent ! Ne vois-tu pas qu’ils deviennent des vagabonds ? qu’ils finiront en prison ? Ne comprends-tu donc pas où nous allons maintenant qu’ils grandissent ?

La simplicité avec laquelle mes parents s’adaptaient à cette situation me les faisait prendre en une aversion qui croissait chaque jour. Ils en étaient arrivés à oublier que moi, la plus jolie de la nichée, je me prostituais tous les soirs aux passants. Sans doute, il n’y avait pas d’autre moyen pour nous de ne pas mourir de faim, mais je me refusais à admettre que ce moyen fût accepté sans la révolte et les imprécations qui, nuit et jour, me secouaient. J’étais trop jeune pour comprendre que chez eux la misère avait fait son œuvre, tandis que j’avais toute ma jeunesse et toute ma vigueur pour me cabrer devant le sort.
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