Quant à la souffrance... Je refuse complètement de la considérer comme un moyen d'accéder à la lumière. Mais je suis obligé de reconnaître que rien ne peut se réaliser sans douleur. Il y a quelque temps, à New York, j'ai entendu un pianiste russe de dix-neuf ans. Il jouait merveilleusement bien, c'était un véritable feu d'artifice, d'une technicité extraordinaire. Mais c'était vide. Ces sons, absolument parfaits pour ce qui était de la tonalité et du rythme, restaient sans vie. Tant qu'il n'aurait pas ensemencé son jeu de douleur et de pertes, rien de vivant n'y pousserait. Il lui manquait la caisse de résonance de la souffrance humaine.