Numa Broc

Notre marin, qui a rapidement déserté de la Royale, s'est mis en tête de faire le tour du monde par ses propres moyens, à une époque, celle de Bougainville, Cook et Lapérouse où ces expéditions étaient une entreprise d’État, fort dispendieuse, à but militaire autant que scientifique. Il part le 30 juin 1767 pour un voyage de 4 ans 5 mois et 5 jours, un an après Bougainville et un an avant Cook, mais 17 ans avant Lapérouse. Il reste 7 mois au Philippines, 4 mois à Batavia, 6 mois aux Indes, plus d'un an au Liban.



" Je formais le projet de connoître les mers de l'Inde, & de m'y rendre par la voie de l'Ouest ; je me proposais ensuite de traverser la Chine, et de me rendre, par la Tartarie, sur les côtes de la mer de Kamchatca. Mon objet était de chercher le passage du Nord, en parcourant les côtes du Nord…Je voulais connoître les mœurs & la manière de vivre des Peuples du Nord, adopter ses mœurs, poursuivre longtemps ces Peuples dans leur course, et me porter ainsi de village en village le long des bords de la mer…Je n'avais jamais pu lire l'histoire d'un voyageur parcourant des contrées inconnues, sans me sentir ému."

Si Pagès ne suit pas l'itinéraire prévu par le Chine, en revanche il est fidèle à sa méthode : Il est attentif aux choses de la mer, aux vents, aux courants, aux bateaux, aux facilités d'accès aux côtes et aux mouillages. Son livre prend parfois la forme d'un routier. En disciple de Rousseau, il étudie avec soin et bienveillance les mœurs des habitants, leur religion, leurs coutumes. Il s'émerveille du bon sauvage, même lorsqu'il a affaire aux farouches tribus nomades d'Arabie (deux siècles avant Thomas Edward Lawrence). Il s'intéresse aux plantes, à la faune, mais aussi aux activités économiques ou industrielles et à leur perspectives, comme un voyageur de commerce mandaté par une firme prospectant de nouveaux marchés, ou un conseiller du commerce extérieur.

C'est un journal de voyage mi-touristique, mi-naturaliste, mi-ethnologique. Tout ceci sans le sou ! Il doit travailler pour pouvoir poursuivre son périple. C'est un routard avant la lettre, un écrivain voyageur moderne, un des premiers globe-trotters. Son tour du monde accompli, fort de son expérience et de quelques appuis, il reprend du service dans la marine pour deux autres voyages.

Sans doute titillé par les lectures des compilations du Président de Brosses (1756) et de l' Histoire générale des Voyages de l'abbé Prévost (1745-1759) le voici reparti avec Yves Joseph de Kerguelen de Tremadec lors du second voyage vers le pôle Sud (1773-1774). Il n'apprécie pas son capitaine, sans doute à juste titre, et témoignera contre lui lors de son procès. Il se venge en ne prononçant pas son nom dans la relation qu'il fait du périple qui aura pour effet le prise de possession (dans une bouteille que le capitaine Cook trouvera un an plus tard), des iles Kerguelen, toujours françaises !

Ses descriptions des Hottentots et de Madagascar viennent compléter celles de l'allemand Johann Schreyer, de l’abbé Nicolas-Louis de Lacaille et de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre quelques années plus tôt.

En 1776 il repart sur un navire de pêche hollandais en expédition pour le pôle Nord, qu'il n'atteindra jamais. Il en rapporte des description du Groenland, du Spitzberg et de la Russie. Mais aussi des récits de la chasse à la baleine dignes d'Herman Melville.

Il connait une certaine célébrité à son retour en publiant ses aventures et devient correspondant de l'Académie de Sciences. Condorcet y souligne ses mérites. Il prend sa retraite de la marin en 1782, comme capitaine de vaisseau. Il a 42 ans. Il va s'installer à Saint-Domingue pour soigner sa santé défaillante et s'enrichir dans le commerce du sucre. Il se marie. Il a deux enfants. Peut-être repart-il guerroyer en Amérique, puisque le beau titre de Chevalier de Cincinnatus lui est décerné. Mais il n'écrit plus.

La fin est plus triste : le 11 janvier 1792, a 52 ans, il est massacré par les esclaves révoltés dans son habitation de La Grande-Rivière des Baradères, paroisse du Petit-Trou.

L'ouvrage est maginfiquement illustré et fort pertinemment préfacé par le professeur Numa Broc.
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