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Citation de collectifpolar


Les arbres étaient en fleurs.

Du blanc, du rose, du jaune, de l’indigo. Une palette flamboyante, donnant l’illusion de contempler un coucher de soleil.

David se concentra. Même lumière, sensations similaires, et encore ce parfum d’herbe mouillée. Ce cadre lui en rappelait vaguement un autre. Comme s’il était déjà venu ici. Pourtant, pas moyen de se souvenir.

C’était sans importance.

Seul comptait le présent.

Et à cette seconde, il le comblait.

Il avança, mains dans les poches, dans un état de décontraction totale. Au bout de ce jardin d’Éden, il découvrit un promontoire et s’y arrêta.

De là, on pouvait embrasser tout ce que la nature offrait de plus merveilleux. La mer, en contrebas, dont les reflets vif-argent s’ordonnaient en une multitude de miroirs minuscules. Les falaises, tout autour, masses de roches blanches qui venaient mourir dans les flots. Et au-delà, aussi loin que portait le regard, l’étendue verdoyante d’un paysage de collines.

David remarqua un sentier qui partait sur sa gauche. Poussé par la curiosité, il s’y engagea.

La pente était raide, le chemin large, émaillé de cailloux. Fendant les cieux, des oiseaux blancs chassaient par groupes de deux ou trois. Ils survolaient les vagues, puis piquaient brutalement avant de plonger sous la surface en émettant des cris aigus.

Captivé par ce spectacle inattendu, David ne fit pas attention à la souche placée en travers de sa route.

Il trébucha et fut projeté vers l’avant.

Dans un réflexe, son pied gauche trouva un appui. Le droit suivit tant bien que mal, sans lui permettre de retrouver son équilibre.

Emporté par l’élan, le jeune homme fit plusieurs enjambées. Un cri franchit ses lèvres quand il comprit où l’emmènerait la dernière…

Le chemin s’arrêtait trois mètres plus bas.

Après, c’était le vide.

La chute se déroula comme dans un rêve. Au ralenti. David voyait la falaise défiler, la mer se rapprocher. Autour, le monde devenait sombre. Comme si le soleil s’éteignait.

Curieusement, il n’y eut pas de choc.

Seulement un changement de plan.

De lieu.

David était maintenant assis sur une terre noire, gelée, aux contours irréguliers. Il songea à de la lave, durcie après s’être refroidie. Les murs qui l’entouraient avaient le même aspect. Ils dessinaient une grotte immense, vide, éclairée par une lueur rougeoyante.

Il leva la tête et découvrit un plafond de feu. Du magma en fusion formant un véritable dôme. Il s’écoulait comme une rivière en crue, à plus de trente mètres du sol, sans pour autant tomber sur lui.

David se releva, palpa ses jambes, ses bras, son torse. Aucune blessure. Son corps semblait intact.

Par quel miracle était-ce possible ? Avec la chute qu’il venait de faire, il devrait être en miettes. Et cet endroit qui défiait les lois de la nature ? Comment avait-il pu se retrouver là ?

La panique le saisit.

Est-ce qu’il était… mort ?

Venait-il d’être expédié directement en enfer ?

David contrôla sa terreur. Il y avait forcément une explication.

Il fit quelques pas. S’approcha de la paroi. Tiède. Visqueuse. Il appuya dessus. Sa main s’enfonça comme dans du beurre, provoquant au passage un bruit de succion.

Il la retira à la hâte, par crainte de se voir aspiré. Avalé. Ces murs semblaient vivants. Ils pulsaient lentement, à la façon d’un cœur monstrueux dont le jeune homme captait les ondes mauvaises. Mais pire encore, David éprouvait une sensation de familiarité à leur contact.

Il recula. L’angoisse serrait sa gorge. Il aurait voulu hurler mais aucun son ne sortait de sa bouche. C’était un pur cauchemar et tout semblait pourtant tellement réel.

À cet instant, vibrant dans les profondeurs de son âme, une voix l’interpella doucement :

— David…

Il releva la tête.

— Daddy ?

— C’est moi, mon grand.

Le jeune homme scruta les alentours. Personne.

— Où es-tu ?

— Ici.

— Je ne te vois pas.

— Tu ne peux pas. Pas encore. Je te l’ai déjà dit.

— Tu…

La voix masculine se fit impérative.

— Ne cherche pas à raviver tes souvenirs. Nous n’avons pas beaucoup de temps.

Cette phrase, David la connaissait.

En une fraction de seconde, les pièces s’assemblèrent. L’impression de déjà-vu. Cet endroit improbable. La familiarité des sensations.

La suite ne le surprit pas.

— Ce n’était pas un accident, affirma son grand-père. Il m’a piégé.

— Tu parles encore de Lui ?

Le vieil homme continuait, comme s’il n’avait pas entendu la question.

— Tu dois absolument m’aider. C’est capital et il n’y a que toi qui puisses le faire. Pour ça, il faut que tu me rejoignes. Tu…

Le monologue s’interrompit. David appela, le cœur serré.

— Daddy ?

— N’en parle à personne. Tant que tu ne seras pas capable de savoir à qui te fier.

La même question s’imposa à nouveau.

— Comment je vais faire ?

— Tu en as… le pouvoir… Il faut seulement… que… tu… l’acceptes.

La transmission devenait hachée, comme chaque fois à cette étape du cauchemar. Elle semblait provenir d’une radio dont la fréquence se brouille.

David demanda, avec la sensation qu’il connaissait déjà la réponse.

— Quel pouvoir ?

— Celui de communiquer… avec… l’Invisible.

Le dernier mot était presque inaudible.

Un grésillement suivit.

Puis le silence.

Un silence inquiétant, chargé, dans lequel David pressentait une menace.

Il appela encore. En vain. Il était seul, avec au creux du ventre la conviction d’être en danger.

Alors, les murs changèrent de couleur. Comme si un feu couvait à l’intérieur. Ils se gonflèrent, crépitèrent, projetant des particules rougeoyantes un peu partout.

Dans ce brasier naissant, une forme se matérialisa. Un visage terrifiant, de la taille d’une maison, dont le jeune homme connaissait les contours. Il était dépourvu de lèvres, de nez et de paupières. Des plaques de métal recouvraient front et joues. Un monstre, qui paraissait vouloir sortir des pierres pour se jeter sur lui.

Le Voleur d’Âmes.

Tel était le nom que David avait fini par lui donner.

Le cri qu’il retenait franchit la barrière de ses lèvres. Un hurlement de terreur pure qui résonna au plus profond de son être.

David se tendit. Ses yeux s’ouvrirent d’un coup. Il regarda sa chambre, son lit, le poster de Bono accroché au-dessus de son bureau.

Assis sur ses draps chiffonnés, le cœur battant à cent à l’heure, il mit plusieurs secondes à réaliser qu’il venait enfin de se réveiller.
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