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Citation de OlivierRisser


Onze heures allaient sonner. Le soleil jouait à cache-cache avec les branches du hêtre, l’air frais vivifiait l’appartement et les courses et les céréales et les bouteilles de lait, tout était bien rangé et les pommes et les oranges disposées dans la corbeille à fruits. Le pain attendait au-dessus du frigidaire qu’on vînt le partager. Tout le monde était prêt, le téléphone sonna.
– Allo papa, c’est moi. Ça va ?
– Oui ma grande, et toi ?
– Bien, merci. Maman demande à quelle heure tu passes me chercher ?
– Dans une demi-heure, comme je lui ai dit. Ça vous convient ?
– Oui.
– On ira se promener au parc l’après-midi et puis, si tu veux, on fera un tour en ville, ça te plairait ? Pour ce soir, on verra, on a le temps d’y penser.
– Ce sera chouette. Je suis contente de venir, papa. J’aimerais bien qu’on passe à la boîte à livres aussi… – Décidément, toi et tes bouquins, c’est une sacrée histoire. Au fond, t’as bien raison… D’accord, je te suivrai à ta boîte et on passera par la boulangerie. Pour le goûter, on s’assoira sur l’herbe verte, tu sais, près du bosquet. Je range un peu et je pars dans cinq minutes.
– D’accord Papa… euh… tu sais… Maman, elle sera là quand tu arriveras. Ça ne te dérange pas ?
– Je serai vite arrivé.
Zacharie ne répondit, comme nous venons de l’entendre que « Je serai vite arrivé ». La formule était plutôt maladroite et Laëtitia ne la comprit guère. Sans doute, son père avait-il voulu dire : « J’arrive, à tout à l’heure. » En vérité, il aurait aimé commencer par « non » (« Non, cela ne me dérange pas ») et il aurait aimé aimer encore assez, aimer follement, aimer autrement, aimer une fois nouvelle, aimer, enfin, pour répondre : « Si elle veut, elle peut venir à la porte. » Ou aimer plus étrangement encore, plus magnifiquement peut-être, plus ridiculement sans doute : « Si elle veut, elle peut venir avec nous. » Il aurait fallu, en effet, être bien fou et bien imprudent, avoir, camionneur, un cœur à toute épreuve.
« Pauvre Laëtitia, qu’aurais-tu pensé si ton papa t’avait répondu tout cela ? »
Au volant de sa voiture bleue, Zacharie, le camionneur au cœur engourdi, se rappelait cette belle époque pas si lointaine des vendredis soir. Des vendredis du retour. Des vendredis des contes de l’autoroute enchantée quand sa fille, la lumière de sa chambre tout juste éteinte, demandait : « S’il te plaît, raconte encore une histoire sur l’autoroute. » Il se rappelait qu’il débutait ses aventures par l’aube du jour commençait à poindre12, une formule qu’il avait entendue quelque part, il ne sut jamais dire où, il se souvenait que lui-même se grisait du jeu de ses narrations, que, par péché véniel, il en inventa plus d’une à son avantage. Il se remémorait les moments où il descendait rejoindre son épouse qui s’était endormie sur le canapé parce qu’elle avait voulu l’attendre avant d’aller se coucher. Il se rappelait que c’était tout cela à la fois le verbe aimer; de l’attente, de la fatigue, une large part d’obscurité, parfois des mensonges mais toujours, toujours, toujours des retrouvailles.
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