AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Osman Chaggou (2)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées
Les amies de Constantine

Pendant plus de quatre-vingt-dix ans, Fatma n’a jamais célébré sa naissance. Elle n’en connaissait pas la date. Entourée de ses enfants, de ses petits-enfants et de ses arrière-petits-enfants, ce 19 mars, pour la première fois de sa vie, elle fête son anniversaire. Cela aura pu être n’importe quel autre jour. Elle vit chez son petit-fils, qui chaque jour, enregistre ses mémoires. Il la laisse s’exprimer même si son récit est décousu. Par moments, il intervient en lui posant une question lorsque ses propos sont trop ambigus. Ce sont, parfois, des dialogues surréalistes, car tous deux ne parlent pas toujours du même sujet. Les répliques de la vieille dame font, quelques fois, sourire, mais sont toujours attendrissantes.





Avant de mourir, Fatma accepte de raconter son histoire et de livrer sa perception de la guerre d’Algérie, avec ses mots à elle. Ils ne sont pas toujours justes, mais c’est sa vision et son appréhension des évènements. Elle ne les a pas forcément compris, mais elle les a vécus. Elle n’a pas oublié les martyres. Son mari a été tué, lors des massacres du 20 août 1955. Elle a vu mourir des cousins et a perdu un fils. Début septembre, elle a été forcée de quitter sa campagne et de s’installer à Constantine, avec ses enfants et la famille de son oncle.





La cohabitation était difficile et elle a été contrainte de quitter la maison. C’est alors qu’elle a rencontré Hazifa, qui l’a recueillie et aidée à trouver un emploi. C’était son premier contact avec la Révolution. C’est ainsi que sans le comprendre réellement, elle a été utilisée par le mouvement national, lorsque son travail, en tant que femme de ménage pour l’épouse d’un commissaire français, lui a octroyé des avantages… Le récit de l’Algérienne alterne avec celui de Geneviève, la Française qui l’a embauchée.





J’avais choisi ce livre, en pensant qu’il m’aiderait à comprendre cette période trouble de l’Histoire franco-algérienne, mais ce n’est pas son objectif. Il livre la perception de deux personnages féminins aux vies, aux univers et aux conditions sociales et culturelles différentes. Elles n’ont pas la même compréhension du conflit, cependant, elles en sont les victimes et les témoins. Elles partagent leurs rêves, leurs regrets et leurs espoirs. Discrètement, chacune s’inquiète pour l’autre, mais ne l’exprime pas. Leur relation est empreinte de respect et de sonorité. C’est un roman émouvant sur l’amitié solide et sincère entre deux femmes que tout aurait pu séparer, au cœur de la guerre d’Algérie. J’ai adoré Les amies de Constantine.




Lien : https://valmyvoyoulit.com/20..
Commenter  J’apprécie          92
Le Mont Touri

Le recueil contient huit nouvelles et un poème. D’emblée, le lecteur est interpellé par un ton vif et sans détour, qui le fait rentrer dans les réalités de la vie algérienne sans rien lui cacher de ses duretés économiques mais aussi de ses joies familiales ou amicales. Il y a une présence humaine, une solidarité, une chaleur qui irradient des textes et rendent immédiatement fascinant un univers où le malheur rôde cependant à toutes les pages, ou presque. Chez Osman Chaggou, la nature humaine se révèle souvent décevante et triste. On y croise des couples qui se disputent avec violence et finissent par se séparer, des mères qui se remarient sans comprendre le sentiment de trahison ressenti par leur fils ; des hommes frustrés devenus bientôt fous qui, le petit matin venu, crient des insanités au pied des barres d’immeubles et finissent avant midi par violer une petite fille que sa sœur aînée est venue chercher à l’école avec quelques minutes de retard… On y rencontre la pauvreté qui pousse à rêver de l’Europe et fait prendre des passeurs malhonnêtes et cupides pour des sauveurs quand bien même le trajet d’Annaba jusqu’en Sardaigne se révèle toujours mortel ; celle qui pousse un enfant à avoir honte de son grand-père parce qu’il collecte tout ce dont les autres souhaitent se débarrasser et puis aussi la misère d’une jeunesse estudiantine privée de vacances et d’un avenir bien réel, entassée dans le logement insalubre de parents trop pauvres ou dans des chambres d’une cité universitaire crasseuse. On y découvre l’envie de vivre et la peur de mourir, ou bien, plus souvent peut-être, l’envie de mourir et la peur de vivre : on se suicide écrasé par des chauffards sur une route à grande circulation où la loi de la jungle urbaine s’est imposée parce qu’il n’y avait pas d’avenir, parce qu’elle ne serait jamais notre femme, parce qu’on avait perdu une amie elle-même happée par la grande faucheuse déguisée en ange salvateur. On veut mourir et sauter d’un des ponts si nombreux à Constantine parce que la société n’acceptera jamais « la pédale de Bellevue » que l’on est devenu. Et les enfants se crèvent les yeux à l’école primaire comme l’on se jette un coup de poing ailleurs, trop malmené par le manque de tolérance.

Il fait beau en Algérie et la saison semble toujours « sèche et aride. Un soleil de plomb avait régné durant ces six derniers mois en maître absolu, dictateur suprême que nul ne peut contester. Sur de sa supériorité, et de son retour triomphant qui se fera bien assez tôt, il nous quittait avec un rire moqueur, le tyran ! » (p. 35) En fait, il ne se passe jamais rien sous le soleil qui reviendra forcément brûler l’autre côté de la Méditerranée : l’université est toujours le même « théâtre à l’air libre où les masques sont de mise pour répondre à l’appel d’un scénario comique » (p. 42), trop de filles sont encore enfermées à la maison après les études et les injustices sociales, sinon sexistes, sont toujours les mêmes puisque « les filles des bidonvilles s’en sortent assez bien dans les travaux ménagers, nettement mieux en tout cas que dans les études. Elles savent manier la serpillère et passent l’éponge sur tout ce qu’on leur demande. » (p. 51) On ne s’attardera pas ici sur une police aux pleins pouvoirs, menaçante par ses humiliations annoncées sur Salim Rais et son ami Ouaheb quand les adolescents de 1996 n’étaient pas encore devenus les passeurs en chef de 2011 !

Osman Chaggou est un lettré, il a lu Kamel Daoud et comme lui son narrateur déteste Alger ; il a lu aussi tous nos grands écrivains français, y compris ceux que nous ne lisons plus en métropole. Ainsi, il peut citer en exergue de son recueil François Coppée. Il sait aussi lancer un clin d’œil mi-amusé mi-désespéré au célèbre « Ave Caesar, morituri te salutant » devenu pour les aspirants à l’eldorado européen un tragique : « Mer, ceux qui vont mourir vous saluent ! » (p. 63) Osman Chaggou entraîne son lecteur dans un monde qu’il connaît bien – son lectorat est d’abord algérien – ou qu’il découvrira dans sa complexité, ses difficultés et ses espoirs. Osman Chaggou ne manie pas la langue de bois : il stigmatise un « drôle de pays où les gardiens, les factotums et les jardiniers vous sont recommandés par des ministres en exercice » (p. 80), où malheureusement « tout se négocie même la visite des malades » (p. 92) mais il attend de pouvoir espérer encore et ce n’est pas un hasard si le recueil se termine sur une prière lourde de tristesse et d’espoir mêlés : « Que Dieu apaise votre chagrin » (p.93)

Un superbe recueil, qu'il faut s'empresser de lire, il n'est jamais trop tard !!!
Commenter  J’apprécie          40


Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Osman Chaggou (6)Voir plus


{* *}