Dans la maison qui jouxtait le salon de coiffure habitait dona Laïsa, une institutrice du groupe scolaire que ses élèves aimaient beaucoup. Le jour de son mariage, quand elle entra dans l’église, à sa demande tout enjolivée de fleurs blanches, ses élèves occupaient tous les bancs des deux côtés. Elle entra au bras de son père, souriante, au comble du bonheur. Mais les enfants ne se tenaient pas tranquilles. Ils faisaient du bruit, changeaient de place, parlaient à voix haute : du coup elle arrêta sa marche nuptiale, alors que pendant ce temps son fiancé et les témoins l’attendaient devant l’autel, et elle rétablit l’ordre. En pleine église, elle ordonna à voix haute aux enfants de se taire et de se mettre les filles d’un côté et les garçons de l’autre. Et elle les prévint :
- Je demande que personne ne parle et ne change de place.
Elle avait l’habitude d’imposer la discipline dans sa salle de classe et elle n’avait pas supporté ce chahut. Là-dessus elle offrit de nouveau le bras à son père et s’avança vers l’autel toute souriante, à la rencontre de son fiancé.
Elle prenait au sérieux le traitement, alors que naguère elle refusait de suivre les régimes, les normes, les prescriptions, comme s’ils ne s’appliquaient qu’aux autres. Et pas à elle, habituée à voir l’argent et le pouvoir de son père écarter de son chemin les contraintes désagréables. Mais quand elle avait eu sa crise, elle l’avait questionné et il lui avait fourni toutes les explications, réaffirmant la nécessité du traitement, lui parlant clairement de son état. Alors seulement, là devant lui avec ses yeux très verts, elle avait compris quelles seraient les conséquences si elle ne suivait pas ses prescriptions. Et s’était mise à pleurer.
- Mais ça ne peut pas m’arriver à moi, disait-elle.
Ensuite elle constata que non seulement lui, mais les hommes, eux tous, étaient sujets à ça, à des accès de folie. Les deux dans le bus qui voulaient se tuer à coups de couteau parce qu’une manche de chemise avait été légèrement déchirée. Les autres qui se battaient à coups de poing parce qu’un fagot de bois avait égratigné le vernis d’un bottillon. Aux yeux de Cynthia, les hommes étaient des êtres sujets à une volonté dictée non pas par le bon sens, mais par un instinct qui échappait à toute explication rationnelle.
Mais les eaux arrivèrent et couvrirent la chapelle, le calvaire et toutes les maisons. Pas seulement celles qui étaient proches de Sao Vicente, mais toutes les maisons de toutes les fazendas, des bourgades et de la ville.
Paulo Roberto avait deux cicatrices à la jambe gauche, des marques de hameçon qui sert à pêcher le dourado et le souroubim. Les hameçons l’avaient ferré si profondément que ce n’est qu’à l’hôpital qu’on avait réussi à les extraire.
Le jour de la fermeture des vannes du barrage, tous les riverains avaient déjà quitté leurs maisons et leurs terres. Les avaient abandonnées pour ne plus jamais y revenir. Tout avait été prévu et les eaux montèrent lentement, atteignant d’abord la rue qui longeait la rive du fleuve.
(incipit)